Ismah Susilawati, la dame de la cantine (12/07/2018)

Retrouvailles avec cette Indonésienne de 51 ans, ex-esclave domestique pour diplomates omanais, devenue cantinière à … «Libération».


 

La première fois que l’on a entendu Ismah s’exprimer, on a cru entendre notre père. Cette manière de rouler les «r», de siffler les «s», et de faire des phrases courtes comme si c’étaient des injonctions. «Allez !» «Tu veux quoi ?» «Comment tu trouves ?» «Tu prends ça ?» Un accent que l’on saurait reconnaître entre tous : celui de l’immigré indonésien. On ne l’avait, jusqu’à présent, entendu que dans la bouche paternelle. Etrange image, donc : la dame de la cantine, allure enfantine et charlotte en papier sur la tête, parle comme notre paternel. Un jour, en fin de service, on a osé poser la question dont on connaissait la réponse : «Vous venez d’où ?» «Jakarta», a répondu fièrement la femme de 51 ans, en roulant le «r» pour dissiper nos doutes. «Mon père vit à Jakarta», lui a-t-on rétorqué en indonésien. Tout est allé très vite ensuite. Saisissant le bras de sa collègue, elle nous a pointés du doigt : «Regarde ! Il est comme moi ! Indonésien ! Lui, le grand monsieur là ! Indonésien !» La collègue s’est mise à blaguer : «C’est ton fils, Ismah.» Ça lui a plu. Depuis, elle nous surnomme «Mon fils» à chaque passage à la cantine de Libé. Et l’on échange quelques mots en indonésien. «Je m’entraîne car j’ai un peu oublié», nous a-t-elle dit, une fois. On n’ose pas lui dire qu’il nous arrive aussi de ne pas comprendre la dizaine de messages qu’elle nous envoie sur Facebook. Mais on est heureux de se parler : elle raconte un pays qu’elle a quitté. Nous, on ne l’a jamais vraiment connu. L’histoire aurait pu s’arrêter là. Mais Ismah nous a envoyé un jour une capture d’écran d’un article de Libération du 5 février 1999. Titré : «La rébellion récompensée d’Ismah, l’esclave indonésienne…»

Voir l’article sur Libération