Le cadre juridique européen
Le cadre juridique encadrant la lutte contre la traite des êtres humains et les formes graves d’exploitation s’est construit sous l’égide du droit international, du droit européen au sens strict et du droit de l’Union.
Le cadre juridique du Conseil de l’Europe
Le Conseil de l’Europe est une organisation internationale qui regroupe 47 États membres dont les 28 membres de l’Union Européenne. Sa mission première est de promouvoir la démocratie et de protéger les droits de l’Homme et l’État de droit en Europe. Ainsi tous les États membres ont signé la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales dont sa mise en œuvre est contrôlée par la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH), crée en 1959.
Concernant le cadre spécifique des formes graves d’exploitation par le travail, l’article 4 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales nous informe que :
« 1. Nul ne peut être tenu en esclavage ni en servitude.
2. Nul ne peut être astreint à accomplir un travail forcé ou obligatoire. »
La CEDH consacre l’article 4 de la Convention comme l’une des valeurs fondamentales des sociétés démocratiques qui ne saurait souffrir d’exception. En outre, la juridiction strasbourgeoise a intégré la notion de traite des êtres humains, non mentionnée à son article 4, à sa protection (CEDH, Rantsev c. Chypre et Russie, 7 janvier 2010).
La Cour a condamné à deux reprises la France pour violation de ses obligations garanties par l’article 4 de la Convention. Ces deux condamnations, dont les victimes étaient soutenues par le Comité Contre l’Esclavage Moderne, sont intervenues en 2005 et 2012 (CEDH, Siliadin c. France, 26 juillet 2005 et CEDH, C.N.&V. c. France, 11 octobre 2012).
De plus, afin de renforcer la protection des victimes de traite des êtres humains, le Conseil de l’Europe a adopté en 2005 une convention spécifique sur la lutte contre la traite des êtres humains (dite Convention de Varsovie).
Au terme de l’article 4 de cette Convention, la traite des êtres humains est définie à partir de 3 éléments constitutifs à savoir une action, un moyen et un but :
« L’expression « traite des êtres humains » désigne le recrutement, le transport, le transfert, l’hébergement ou l’accueil de personnes, par la menace de recours ou le recours à la force ou d’autres formes de contrainte, par enlèvement, fraude, tromperie, abus d’autorité ou d’une situation de vulnérabilité, ou par l’offre ou l’acceptation de paiements ou d’avantages pour obtenir le consentement d’une personne ayant autorité sur une autre aux fins d’exploitation. L’exploitation comprend, au minimum, l’exploitation de la prostitution d’autrui ou d’autres formes d’exploitation sexuelle, le travail ou les services forcés, l’esclavage ou les pratiques analogues à l’esclavage, la servitude ou le prélèvement d’organes »
Cette convention est centrée sur les droits des victimes de toutes formes de traite (exploitation sexuelle, exploitation par le travail, etc.). Ainsi, elle rappelle que le consentement de la victime a son exploitation est indifférent à la qualification de l’infraction et consacre une série de droits protecteurs pour les victimes, comme la délivrance d’un permis de séjour aux victimes étrangères, le bénéfice d’un délai de réflexion et de rétablissement pour le dépôt de plainte ou encore l’indemnisation effective des préjudices subis.
De plus, la Convention a instauré un mécanisme de suivi et de contrôle des obligations des Etats composé notamment d’un Groupe d’experts sur la lutte contre la traite des êtres humains (GRETA) et d’un comité des Parties. Ainsi des rapports d’évaluation sont publiés ainsi que des recommandations quant à l’application de la Convention par les Etats parties.
Le dernier rapport d’évolution du GRETA concernant la France date de 2017. Il est publié sur le site du GRETA comme l’ensemble des rapports de ce mécanisme de contrôle. Vous pouvez aussi les retrouver sur le site du CCEM.
Le cadre juridique de l’Union Européenne
L’Union Européenne a, elle aussi, consacré un droit en faveur de la lutte contre la traite des êtres humains en adoptant une première directive en 2004 concernant spécifiquement le séjour des victimes étrangères de traite des êtres humains. Elle en adopte une seconde en 2011, relative à l’ensemble des droits accordés aux victimes de traite.
Selon le droit communautaire européen, les directives sont considérées comme des « feuilles de route » qui fixent des objectifs à atteindre dans des domaines particuliers en laissant un délai et le choix des moyens et de la forme aux États. Ainsi, chaque État membre se voit dans l’obligation de transposer en droit interne les directives de l’Union Européenne dans le délai imparti, à défaut la directive devient directement invocable. En outre, la non-transposition peut faire l’objet d’une procédure en manquement devant la Cour de justice de l’Union européenne.
La directive 2004/81/CE du Conseil du 29 avril 2004 « relative au titre de séjour délivré aux ressortissants de pays tiers qui sont victimes de la traite des êtres humains ou ont fait l’objet d’une aide à l’immigration clandestine et qui coopèrent avec les autorités compétentes » demande notamment aux États membres de prendre des dispositions assurant aux victimes étrangères de traite des êtres humains coopérant avec les autorités judiciaires une autorisation de résidence dans le pays où les faits ont été commis, et ce, pour la durée de la procédure judiciaire.
La France a effectivement pris des dispositions dans ce sens ainsi selon l’article L425-1 (anciennement L316-1) du Code de l’Entrée et du Séjour des Étrangers et du Droit d’Asile (CESEDA), les victimes de traite des êtres humains coopérant avec les forces de l’ordre en déposant plainte ou témoignant bénéficient d’un titre de séjour pour la durée de la procédure judiciaire. En cas de condamnation des auteurs, elles doivent se voir remettre une carte de résident.
Quant à la directive 2011/36/CE du Parlement et du Conseil du 5 avril 2011« concernant la prévention de la traite des êtres humains et la lutte contre ce phénomène ainsi que la protection des victimes », elle prévoit différentes recommandations à destination des gouvernements des Etats Membres afin de mettre en œuvre un cadre global de lutte contre la traite des êtres humains en passant par la reconnaissance en droit interne de l’infraction, la prévention du phénomène et sa répression. De plus, la directive demande que les Etats membres assurent une prise en charge adaptée des victimes de traite des êtres humains. Ces recommandations concernent par exemple la mise à disposition d’interprètes lors d’entretiens avec les forces de l’ordre, mais aussi l’accès aux soins physiques et psychologiques.