Les lois et jurisprudences en France
I - Le cadre juridique
La loi du 5 août 2013, qui a transposé en droit interne diverses directives européennes et engagements internationaux de la France, a modifié la définition et les circonstances aggravantes de l’infraction de traite des êtres humains. Cette adaptation de la loi française était d’autant plus attendue que la France avait été condamnée à deux reprises par la Cour européenne des droits de l’Homme (Siliadin c. France, 26 juillet 2005, n° 73316/01 et C.N. et V. c. France, 11 octobre 2012, n° 67724/09) pour les insuffisances du cadre juridique et réglementaire français en la matière.
Ainsi l’article 225-4-1 du code pénal, définit la traite des êtres humains comme étant :
[UNE ACTION]
« (…) le fait de recruter une personne, de la transporter, de la transférer, de l’héberger ou de l’accueillir à des fins d’exploitation dans l’une des circonstances suivantes :
[UN MOYEN]
1° Soit avec l’emploi de menace, de contrainte, de violence ou de manœuvre dolosive visant la victime, sa famille ou une personne en relation habituelle avec la victime ;
2° Soit par un ascendant légitime, naturel ou adoptif de cette personne ou par une personne qui a autorité sur elle ou abuse de l’autorité que lui confèrent ses fonctions ;
3° Soit par abus d’une situation de vulnérabilité due à son âge, à une maladie, à une infirmité, à une déficience physique ou psychique ou à un état de grossesse, apparente ou connue de son auteur ;
4° Soit en échange ou par l’octroi d’une rémunération ou de tout autre avantage ou d’une promesse de rémunération ou d’avantage.
[UN BUT]
L’exploitation mentionnée au premier alinéa du présent I est le fait de mettre la victime à sa disposition ou à la disposition d’un tiers, même non identifié, afin soit de permettre la commission contre la victime des infractions de proxénétisme, d’agression ou d’atteintes sexuelles, de réduction en esclavage, de soumission à du travail ou à des services forcés, de réduction en servitude, de prélèvement de l’un de ses organes, d’exploitation de la mendicité, de conditions de travail ou d’hébergement contraires à sa dignité, soit de contraindre la victime à commettre tout crime ou délit.»
La traite des êtres humains telle que définie par cet article est punie de sept ans d’emprisonnement et de 150 000 € d’amende.
Cet article précise que s’agissant des victimes mineurs l’existence de l’un des moyens n’a pas à être démontrée pour caractériser l’infraction de traite des êtres humains et la peine encourue est dans ces conditions de 10 ans d’emprisonnement et de 1 500 000 € d’amende.
Les articles 225-4-2 à 225-4-4 du code pénal précisent les circonstances aggravantes à l’infraction de traite des êtres humains. Les peines encourues pouvant alors aller de dix ans d’emprisonnement et de 1 500 000 € d’amende à la réclusion à perpétuité et à une amende de 4 500 000 euros.
La loi du 5 août 2013 a également entraîné la création d’infractions punissant trois nouvelles formes d’exploitation par le travail. Ainsi l’exploitation par le travail peut recouvrir 4 formes graduelles allant des conditions de travail et d’hébergement contraire à la dignité humaine (article 225-14 du code pénal), du travail forcé (article 225-14-1 du code pénal), de la réduction en servitude (article 225-14-2 du code pénal) à l’esclavage et la réduction en esclavage (article 224-1 A et suivants du code pénal).
II - Le droit des victimes
Le droit français prévoit une protection pour les victimes de traite des êtres humains qui participent à une procédure judiciaire. Ces dernières peuvent notamment prétendre à (cliquer sur les sous-titres pour accéder aux détails et sources de droit) :
Les droits des victimes de traite des êtres humains en France
Un délai de réflexion. Selon l’article R. 425-2 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA), la victime dispose d’un délai de réflexion de 30 jours (délivrance d’un récépissé) pour intenter une action judiciaire. Ainsi, pendant cette période, elle ne peut faire l’objet d’aucune mesure d’éloignement. « L’étranger à qui un service de police ou de gendarmerie fournit les informations mentionnées à l’article R. 425-1 [relatif à ses droits] et qui choisit de bénéficier du délai de réflexion de trente jours prévu au même article se voit délivrer un récépissé de même durée par le préfet (…). Pendant le délai de réflexion, aucune décision d’éloignement ne peut être prise à l’encontre de l’étranger en application de l’article L. 611-1, ni exécutée. »
Une carte de séjour temporaire pour les personnes qui portent plainte ou qui témoignent dans une procédure judiciaire pour traite des êtres humains ou proxénétisme et une carte de résident en cas de condamnation définitive du mis en cause. Les conditions de la carte de séjour temporaire sont précisées à l’article L. 425-1 : « L’étranger qui dépose plainte contre une personne qu’il accuse d’avoir commis à son encontre des faits constitutifs des infractions de traite des êtres humains ou de proxénétisme, visées aux articles 225-4-1 à 225-4-6 et 225-5 à 225-10 du code pénal, ou témoigne dans une procédure pénale concernant une personne poursuivie pour ces mêmes infractions, se voit délivrer, sous réserve qu’il ait rompu tout lien avec cette personne, une carte de séjour temporaire portant la mention “vie privée et familiale” d’une durée d’un an. ». La carte de résident est ensuite prévue à l’article L. 425-3 : « L’étranger mentionné à l’article L. 425-1 se voit délivrer, en cas de condamnation définitive de la personne mise en cause, et sous réserve de la régularité du séjour, une carte de résident d’une durée de dix ans. ». La personne doit présenter une demande de titre de séjour à la préfecture dépendant de sa domiciliation. Une note d’information du 19 mai 2015 relative aux conditions d’admission au séjour des ressortissants étrangers victimes de traite des êtres humains donne les lignes de conduites aux préfectures. De plus, le Défenseur des droits a rappelé les conditions simples d’admission au séjour dans ce cadre par une décision du 19 mars 2020.
La possibilité de saisir la Commission d’indemnisation des victimes d’infractions (CIVI) pour obtenir réparation. Aux termes de l’article 706-3 du code de procédure pénale, « Toute personne (…) ayant subi un préjudice résultant de faits volontaires ou non qui présentent le caractère matériel d’une infraction peut obtenir la réparation intégrale des dommages qui résultent des atteintes à la personne, lorsque sont réunies les conditions suivantes : (…) 2° Ces faits : (…) sont prévus et réprimés par les articles 222-22 à 222-30, 224-1 A à 224-1 C, 225-4-1 à 225-4-5 [au titre de la traite des êtres humains], 225-5 à 225-10, 225-14-1 et 225-14-2 et 227-25 à 227-27 du code pénal ; 3° La personne lésée est de nationalité française ou les faits ont été commis sur le territoire national. La réparation peut être refusée ou son montant réduit à raison de la faute de la victime. »
L’Allocation pour Demandeur d’Asile et pour les victimes de la traite des êtres humains titulaires d’une carte de séjour, aux termes de l’article L. 425-1 du CESEDA. Cette allocation est prévue à l’article L. 425-2 : « L’étranger titulaire de la carte de séjour temporaire prévue à l’article L. 425-1 peut bénéficier de l’allocation mentionnée à l’article L. 553-1 pendant une durée déterminée s’il satisfait à des conditions d’âge et de ressources. ». L’accès à cette allocation est également prévue pendant le délai de réflexion, selon l’article R. 425-4 : « Pendant le délai de réflexion prévu à l’article R. 425-2, l’étranger a droit à l’exercice d’une activité professionnelle et à la formation professionnelle. Il peut également bénéficier : 1° De l’allocation pour demandeur d’asile (…). ». La demande doit être présentée à l’Office français d’intégration et d’immigration (OFII) dépendant du domicile du demandeur. Ainsi, il est indispensable de solliciter à la préfecture, lors de la réception de la carte de séjour temporaire, la délivrance d’une attestation de remise d’un titre de séjour sur le fondement de l’article L. 425-1 du CESEDA.
L’accueil en centre d’hébergement. Selon l’article L.345-1 du code l’action sociale et des familles« Bénéficient, sur leur demande, de l’aide sociale pour être accueillies dans des centres d’hébergement et de réinsertion sociale publics ou privés les personnes et les familles qui connaissent de graves difficultés, notamment économiques, familiales, de logement, de santé ou d’insertion, en vue de les aider à accéder ou à recouvrer leur autonomie personnelle et sociale. (…) Des places en centres d’hébergement et de réinsertion sociale sont ouvertes à l’accueil des victimes de la traite des êtres humains dans des conditions sécurisantes. ». Il est également prévu un dispositif national d’accueil des victimes de traite des êtres humains, dit dispositif Ac.Sé, proposant un hébergement géographiquement éloigné des lieux de l’infraction pour les personnes en danger ou en grande vulnérabilité. Une place de l’appartement d’urgence du CCEM est dédiée à ce dispositif.
Pour autant, le CCEM rappelle que la Convention du Conseil de l’Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains du 16 mai 2005, dite Convention de Varsovie, prévoit en son article 12 § 6 que l’assistance des victimes ne doit pas être subordonnée à leur volonté de témoigner. Il en va de même de l’article 11 § 3 de la directive 2011/36/UE du parlement européen et du Conseil du 5 avril 2011 concernant la prévention de la traite des êtres humains et la lutte contre ce phénomène ainsi que la protection des victimes et remplaçant la décision-cadre 2002/629/JAI du Conseil.
III - Jurisprudences
LE CCEM, UNE REFÉRENCE DANS LA LUTTE CONTRE LA TRAITE DES ÊTRES HUMAINS À DES FINS D’EXPLOITATION PAR LE TRAVAIL
Depuis sa création le Comité contre l’esclavage moderne lutte pour la poursuite et la condamnation des auteurs en accompagnant les victimes dans leurs démarches juridiques et/ou en se constituant partie civile à leurs côtés. C‘est dans ce cadre que les premières condamnations de traite des êtres humains à des fins d’exploitation par le travail ont pu être rendues par les juridictions françaises. Il y a aujourd’hui peu de condamnation définitive au visa de l’infraction de traite des êtres humains à des fins d’exploitation par le travail ce que le CCEM ne peut que regretter compte tenu de l’ampleur du phénomène. En outre, ces jurisprudences ne rarement publiées. Ainsi, le CCEM souhaite partager les différentes décisions concernant la traite des êtres humains à des fins d’exploitation par le travail.
En l’espèce, la victime, en situation irrégulière, avait dû, pendant plus de 10 ans, travailler comme domestique plus de quinze heures par jour, 7 jours sur 7, sans contrat de travail, sans congé et pour une rémunération allant de 100 à 150 euros par mois pour un couple de français.
Sur l’action publique, le couple a été reconnu coupable de l’ensemble des chefs d’inculpation pour une période uniquement de un an et demi. Les infractions notamment de traite d’être humain (article 225-4-1 du code pénal), de soumission à des conditions de travail indignes (article 225-13 du code pénal et d’absence de rémunération d’une personne vulnérable (article 225-14 du code pénal) ont été retenues. Ils ont été condamnés individuellement à une peine d’un an d’emprisonnement intégralement assortie du sursis.
Sur l’action civile, le tribunal a condamné solidairement le couple à verser à la partie civile les sommes de 26 360,06 euros au titre des pertes de salaire, 8 000 euros au titre de ses droits à la retraite et 6 000 euros en réparation du préjudice moral. La constitution de partie civile du CCEM a été reconnue recevable et il lui a été alloué conformément à sa demande la somme symbolique de 1 euro de dommages-intérêts.
Remarques : il s’agit, à la connaissance du CCEM, de la première condamnation pour traite des êtres humains après l’entrée en vigueur de la loi du 20 novembre 2007 dans une affaire dans laquelle le CCEM s’est constitué partie civile. Après cette modification législative, la condition de mise à disposition d’un tiers n’était plus requise, facilitant ainsi la constitution de l’infraction. De plus, dans cette décision peu motivée le cumul d’infractions des articles 225-4-1, 225-13 et 225-14 du code pénal a été admis. Enfin, il peut être noté que le tribunal retient l’existence du préjudice de perte de salaire et de droit à la retraite sans renvoyer à la compétence du Conseil des prud’hommes qui en l’espèce n’avait pas été saisi.
En l’espèce, la partie civile, de nationalité cambodgienne, souffrant de troubles intellectuels, a travaillé comme homme à tout faire pendant six années dans un haras pour le compte de la prévenue et de sa mère. Monsieur K. travaillait dix heures par jour, 7 jours sur 7, était rémunéré entre 100 et 150 euros par semaine, sans congé et avec un repos d’une demi-journée le dimanche. En outre, Monsieur K. était hébergé dans un appartement dégradé et mal entretenu, sans chauffage. Il était totalement isolé ne disposant d’aucun moyen de transport pour se rendre en ville. Un tiers avait alors alerté le CCEM de la situation de la victime qui l’a prise en charge et l’a accompagnée dans ses démarches juridiques. En première instance, le tribunal avait condamné la prévenue pour l’ensemble des infractions objets des poursuites du parquet et avait relaxé la mère de la prévenue de tous les chefs d’inculpation. La victime, ayant considéré que les poursuites n’étaient pas suffisantes, avait fait délivrer une citation directe au visa de l’infraction de traite des êtres humains pour la prévenue. Pour autant, le tribunal avait relaxé également sur ce point. Ainsi, la prévenue avait interjeté l’appel des condamnations s’agissant des infractions poursuivies par le parquet, suivi d’un appel incident du procureur de la République. La victime et le CCEM ont également contesté cette décision cependant leur appel était légalement limité aux seuls intérêts civils.
Sur l’action publique, la Cour d’appel, par une décision motivée, confirme le jugement de première instance sur la déclaration de culpabilité pour notamment les deux délits développés ci-après et condamne la prévenue à un an d’emprisonnement avec sursis.
- Rétribution inexistante ou insuffisante du travail d’une personne vulnérable ou dépendante (article 225-13 du code pénal) : la Cour relève que la vulnérabilité et la dépendance de la partie civile ne pouvait être contestées par la prévenue au vu de leur caractère particulièrement apparent. Aujourd’hui, la victime bénéficie d’un régime de curatelle. En outre, pour les magistrats, le salaire de 400 à 600 euros par mois était, par rapport à un salarié agricole, largement insuffisant. Enfin, la Cour retient que le fait pour la prévenue d’organiser le planning de Monsieur K. et de lui donner des ordres caractérisait la relation de dépendance d’employeur à employé.
- Soumission d’une personne vulnérable ou dépendante à des conditions de travail indignes ou d’hébergement incompatible (article 225-14 du code pénal) : pour retenir ce chef d’inculpation, la Cour retient la fragilité de la partie civile, son isolement culturel et géographique, sa mauvaise connaissance du français, sa limitation intellectuelle, sa dépendance, son absence de contact, de couverture sociale, d’accès médical, de repos, et l’impossibilité de s’éloigner.
Sur l’action civile, la Cour constate que les éléments constitutifs du délit de traite d’un être humain particulièrement vulnérable étaient réunis à l’encontre de la prévenue et de sa mère, qui avaient toute deux été relaxées de ce chef en première instance et ainsi la Cour retient que la responsabilité civile de deux mises en cause était engagée. Il convient de rappeler que la relaxe sur l’infraction de traite des êtres humains était définitive, ainsi aucune conséquence pénale ne pouvait être tirée de ce raisonnement et aucune peine n’a été prononcée. La Cour a cependant condamné solidairement la prévenue et sa mère à prendre en charge les conséquences civiles et donc à verser à la victime la somme de 12 000 euros en réparation de son préjudice moral et 1 euro symbolique au CCEM.
Remarques : au-delà de l’analyse juridique très intéressante sur la qualification juridique des faits objets de la poursuite à l’origine d’une faute civile entraînant une indemnisation, il peut être relevé la motivation particulière concernant l’infraction de traite des êtres humains. En effet, la Cour estime qu’« [I]l importe peu qu’en l’espèce la victime, en raison de sa particulière vulnérabilité et de sa totale précarité, se soit auto-livrée à son exploiteur ».
En l’espèce, les deux victimes, âgées et soufrant d’un déficit mental, de nationalité française ont travaillé pendant douze ans pour le compte d’une société, respectivement 50 heures et 20 heures par semaine pour une rémunération de 20 euros, sans congés ni repos. Leurs documents avaient été confisqués, ils étaient mal nourris et étaient hébergés dans une cabane de chantier insalubre au cœur de la société d’appâts de pêche.
Sur l’action publique, le tribunal a déclaré le prévenu coupable des faits que lui était reprochés au visa des infractions de traite d’être humain commise à l’égard de plusieurs personnes vulnérables, de rétribution inexistante ou insuffisante de plusieurs personnes vulnérables ou dépendantes et de travail dissimulé. Ainsi le prévenu est condamné à une peine d’emprisonnement délictuel de cinq ans (avec un sursis partiel pour une durée de trois ans), à un mandat de dépôt et à onze amendes de trois mille euros. En peine complémentaire, le prévenu a l’interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler une personne morale pour une durée de cinq ans.
Sur l’action civile, le prévenu a été condamné à indemniser les parties civiles ainsi leur préjudice moral a été estimé à hauteur de 125 000 euros pour chaque victime. La constitution de partie civile du CCEM a été déclarée recevable et il lui a été alloué conformément à sa demande, 1 euros symbolique en réparation de son préjudice.
Remarques : sans motivation développée, le tribunal rejette le cumul d’infraction de traite des êtres humains (article 225-4-1 du code pénal) et de conditions d’hébergement indignes (article 225-14 du code pénal) considérant que les faits de soumissions de plusieurs personnes vulnérables ou dépendantes à des conditions d’hébergement indignes sont compris dans la prévention visant les faits de traite des êtres humains. En outre, le tribunal ne retient une prévention que sur les trois dernières années d’exploitation estimant que les faits antérieurs étaient prescrits et ce, alors même que l’infraction de traite des êtres humains est considérée par la doctrine comme une infraction continue.
En l’espèce, deux jeunes marocains ont été recrutés depuis le Maroc par le prévenu pour travailler comme saisonniers et avaient dû pour cela lui verser une somme de 7 000 euros. Ils ont travaillé du 1er mars au 17 juillet 2014 dans des conditions particulièrement difficiles, plus de douze heures par jour, 7 jours sur 7, sans repos ni congés. Ils n’étaient pas payés et étaient logés dans un petit studio avec pour seul confort des petits matelas en mousse. En outre, l’employeur leur avait pris leur passeport, leur extorquait de l’argent, exerçait des pressions et menaces à l’égard de leurs familles et était physiquement violent. Ayant été condamné en première instance par le tribunal judiciaire d’Aurillac, le prévenu a interjeté appel. La Cour d’appel de Riom a confirmé dans toutes ses dispositions le jugement intervenu.
Sur l’action publique, le Tribunal judiciaire d’Aurillac et la Cour d’appel de Riom ont condamné le prévenu pour l’ensemble des infractions qui lui étaient reprochées et notamment l’article 225-4-1 du code pénal prévoyant la traite des êtres humains. En répression le prévenu est condamné à une peine de trois ans d’emprisonnement délictuelle assorti du sursis pour une durée d’un an et avec un mandat de dépôt.
Sur l’action civile, les constitutions de partie civile des deux victimes ont été jugées recevables ainsi que celle du CCEM. La Cour d’appel de Riom a estimé le préjudice moral de Messieurs S.O. et M.O. à 10 000 euros et le préjudice matériel à 12 000 euros pour l’un et 13 000 euros pour l’autre. Le CCEM s’est vu alloué la somme de 1 euro symbolique à hauteur de ses demandes.
Remarques : il s’agit, à la connaissance du CCEM, de la première décision au visa de l’article 225-4-1 du code pénal modifié par la loi du 5 août 2013. De plus, par une décision motivée, la Cour d’appel de Riom, le 17 juin 2015, confirme le jugement en ce qu’il a retenu la qualification de traite des êtres humains et ce bien que « les conditions dans lesquelles les deux victimes sont venues travailler ont l’apparence de la légalité, puisqu’elles sont venues sous couvert de titres réguliers, avec un contrat de travail, que ses employés ont eu un bulletin de paie ». La Cour dit qu’il y a bien eu recrutement, transfert et hébergement, après exercice de manœuvres dolosives (notamment de faire croire que l’Etat français réclamait une somme de 7 000 euros pour pouvoir travailler sur le territoire) et rappelle que les conditions d’exploitation des victimes par des conditions de travail et d’hébergement contraires à la dignité sont établies. Pour cela elle prend en compte « le reversement immédiat du salaire sur le compte de l’employeur, le fait que les passeports et autres documents soient restés entre les mains de l’employeur ». En outre, les conditions de soumission au travail des victimes étaient démontrées par « la surveillance de l’employeur, qui venait les chercher au travail (…) et l’agression du prévenu ». Quant aux conditions indignes d’hébergement, la Cour relève la taille de l’appartement (24m2) non meublé, qui ne comportait qu’un minimum de meubles et deux matelas posés au sol.
En l’espèce, la famille D., d’origine roumaine, composée d’un couple et de deux enfants de six ans, était hébergée chez une autre famille d’origine roumaine également. La famille C. avait fait venir la famille D. en France et avait confisqué leur passeport. La famille D. avait alors été contrainte de travailler pour leur compte de janvier 2009 à mai 2011 et subissait de leur part de graves violences physiques ainsi que sexuelles pour Madame D. Seule Madame D. était rémunérée 350 euros par mois. Aucun des membres de la famille D. ne disposait de jours de repos ni de congés. Monsieur D. ayant été contraint de travailler dehors dans le froid, a eu le pied gelé et du fait d’une absence de soin a dû subir une amputation.
Sur l’action publique, le tribunal a déclaré le prévenu coupable de l’ensemble des infractions qui lui était reproché à savoir la traite d’être humain commise dans des circonstances exposant directement la victime à un risque immédiat de mort ou d’infirmité permanente et à l’égard d’une personne à son arrivée sur le territoire de la république et de rétribution inexistence ou insuffisante de plusieurs personnes vulnérables ou dépendantes. En répression, le prévenu est condamné à une peine de 18 mois d’emprisonnement délictuel.
Sur l’action civile, le tribunal de Pontoise a reçu les constitutions des 4 victimes et du CCEM. Il a retenu l’existence d’un préjudice corporel et moral pour Monsieur D., d’un préjudice financier et moral pour Madame D. et de préjudice moral pour les deux enfants D. Conformément à sa demande, il a été alloué la somme de 1 euro symbolique au CCEM.
Remarques : le tribunal a fait application de l’article 225-4-1 du code pénal dans sa rédaction issu de la loi du 05 août 2013, soit postérieurement aux faits, considérant que s’agissant d’une loi d’incrimination qui n’est pas défavorable au prévenu puisqu’elle n’étend pas le champ de l’incrimination et ne modifie pas les peines encourues, cette loi est d’application immédiate. De plus, pour retenir l’infraction de traite d’être humain à des fins de conditions de travail indignes, le tribunal retient les éléments suivants : la confiscation des passeports, le contexte de violence, le risque pour l’intégrité physique, le retard dans la prise en charge de la pathologie, la charge de travail extrêmement lourde, l’absence de repos, la faiblesse ou l’absence de rémunération.
En l’espèce, la victime d’origine ivoirienne, recrutée dans son pays d’origine, indique avoir travaillé pendant 3 ans pour un couple de compatriotes en France plus de 12 heures par jour, 7 jours sur 7 sans repos ni congés. Elle avait la charge de l’ensemble des tâches domestiques, de la cuisine et de la garde des enfants du couple. Elle était rémunérée 70 euros par mois. Elle dormait sur un matelas au sol dans le salon et ne pouvait bénéficier de soin.
Sur la procédure, l’arrêt de la chambre criminelle est intervenu au stade de l’instruction du dossier. Ainsi, la situation n’a pas encore fait l’objet d’une décision de fond.
Remarques : la décision rappelle que la mise à disposition à un tiers d’une personne pour qu’elle exerce un travail sans rémunération sont des éléments suffisants pour caractériser la traite des êtres humains et que les faits doivent être poursuivis sous la qualification la plus haute, en l’espèce la traite des êtres humains.
En l’espèce, la victime, de nationalité indonésienne, a été recrutée aux Emirats Arabes Unis puis transportée, hébergée et accueillie par le couple de prévenus qui avait confisqué son passeport. En situation irrégulière, elle a effectué au domicile du couple des tâches domestiques et de garde d’enfants 10 heures par jour, 7 jours sur 7 de février 2016 à juillet 2017. Son travail n’a jamais été déclaré. Elle ne bénéficiait pas de contrat de travail ni de bulletin de paie. Elle était rémunérée 250 euros par mois, salaire directement adressé à sa famille au pays. Elle n’a disposé d’aucun repos ni congés. Elle dormait sur un matelas au sol dans la chambre des enfants dont elle avait la garde et ses affaires étaient rangées dans une valise dans la salle de bain commune aux enfants. Elle n’avait donc aucune intimité. Elle était isolée ne parlant pas le français et n’ayant aucune famille ou connaissance sur le territoire français.
Sur l’action publique, le tribunal a retenu l’ensemble des infractions poursuives et notamment celle de traite d’être humain commise à l’égard d’une personne à son arrivée sur le territoire de la République et de travail dissimulé. Ainsi, les prévenus ont été individuellement condamnés en répression à une peine de 3 ans d’emprisonnement délictuelle totalement assorti du sursis ainsi qu’au paiement chacun d’une amende à hauteur de 10 000 euros.
Sur l’action civile, le tribunal a condamné solidairement les prévenus à verser la somme de 10 000 euros en réparation du préjudice moral. La juridiction a également reçu la constitution de partie civile du CCEM et il lui a été alloué la somme de 1 euro symbolique, conformément à sa demande.
Remarques : pour qualifier la traite, le tribunal a retenu que « la victime se tenait à disposition du couple jour et nuit tant pour s’occuper des enfants que pour faire le ménage, elle n’avait pas d’espace privatif dans le domicile et ne pouvait prendre aucun jour de congé en dehors de celui-ci (…). En rémunération de ce service continu, elle bénéficiait d’un versement de 250 euros mensuel destiné à sa famille en Indonésie. Ces sommes (…) apparaissent comme dérisoires ». En outre, le tribunal a rappelé que le fait que la victime ait accepté d’être traitée ainsi ne peut avoir aucun effet sur l’appréciation de l’élément intentionnel de l’infraction.
En l’espèce, la victime d’origine camerounaise travaillait dans son pays d’origine pour une personne qui lui a proposé de venir à son service en France à deux reprises. Dans ces conditions, elle avait la charge des tâches domestiques et de la garde de 4 enfants dont un nouveau-né. Elle n’a pas été rémunérée. Elle a travaillé 12 heures par jour, 7 jours sur 7, sans repos ni congés. Son passeport lui a été confisqué. Elle a été victime de violences verbales et physiques. Elle dormait sur un matelas en sol dans la chambre des enfants, avait un accès limité à l’hygiène.
Sur l’action publique, Madame X. a été condamnée au visa de l’infraction de traite des êtres humains et en répression une peine de 12 mois d’emprisonnement totalement assortie du sursis a été prononcée.
Sur l’action civile, la victime et le CCEM ont été reçus dans leur constitution de partie civile. Le tribunal a retenu l’existence d’un préjudice moral et financier subi par Madame O. et ainsi il lui a été alloué la somme de 14 000 euros. La prévenue a également été condamnée à verser la somme de 1 euro symbolique au CCEM, conformément à ses demandes.
Remarques : dans sa motivation, la Cour retient différents éléments à même d’emporter la conviction sur la qualification de traite et notamment – au-delà des conditions de travail et d’hébergement, qualifiées de « vexatoires » et des violences subies – les fausses promesses, l’organisation du transport, la confiscation du passeport, l’absence d’intimité et les circonstances de fuite de la victime.
AUTRES ARRÊTS INTÉRESSANTS
Les décisions ci-dessous concernent des affaires suivies sur d’autres fondements que la traite des êtres humains ou desquelles le CCEM n’était pas partie, mais dont l’interprétation par les magistrats s’avère pertinente et participe à affiner la jurisprudence sur la traite des êtres humains en France.
En l’espèce, la victime, mineure au moment des faits, d’origine marocaine, arrivée en France sous couvert d’une kafala, a travaillé pour un couple pendant 7 ans. Elle avait la charge du ménage, des tâches domestiques et de la garde du plus jeune enfant. Elle n’a pas perçue de rémunération. Elle subissait des violences physiques et verbales. Elle avait des restrictions dans l’accès à l’hygiène et ne pouvait avoir accès au soin. Après avoir réussi à entrer en contact avec une association, Madame a été orientée au CCEM qui l’accompagne depuis 2001.
Sur la procédure, après une condamnation du couple au visa de l’infraction d’absence de rémunération d’une personne vulnérable ou dépendante (article 225-13 du code pénal) par la Cour d’appel de Versailles, Monsieur X. a été condamné à 20 000 euros d’amende et Madame X. a une peine d’emprisonnement d’une durée d’1 an totalement assorti du sursis. La partie civile a obtenu l’indemnisation de son préjudice moral évalué à la hauteur de 10 000 euros. En parallèle une procédure prud’homale a été engagée afin d’obtenir une indemnisation du préjudice financier dont l’arrêt de la Cour de cassation vient poser le principe.
Remarques : cette décision pose le principe de l’indemnisation intégrale du préjudice subie par les victimes de travail forcé et de servitude que le préjudice soit moral ou financier. Suite à cet arrêt, la Cour d’appel de Paris a évalué le préjudice financier subi par la victime à un montant de 280 000 euros.
En l’espèce, suite à l’arrêt de la Cour d’appel de Versailles du 14 février 2019 l’ayant reconnue victime de traite des êtres humains (voir ci-dessus), Mme R. L. N. a déposé une requête près de la CIVI le 14 juin 2021. Dans un premier temps, la commission rejette la demande d’indemnisation du travail, au sens strict, considérant qu’il ne s’agit pas d’un dommage résultant d’une atteinte à la personne au sens de l’article 706-3 du code de procédure pénale.