Le projet de recherche REST avait pour but d’évaluer l’accès au séjour et à la protection administrative des victimes de traite dans 6 pays d’Europe : l’Autriche, la France, l’Espagne, la Moldavie, la Serbie et les Pays-Bas. Selon les pratiques identifiées dans chaque pays, le rapport final du projet établit des recommandations pour améliorer l’application des textes et directives européennes.
La Convention du Conseil de l’Europe sur la lutte contre la traite de 2005 ainsi que la Directive européenne1 prévoient la régularisation administrative pour les victimes de traite qui ont déposé plainte et qui coopèrent avec la justice et / ou selon leur situation personnelle. Or, ces textes sont appliqués de façon très inégale par les différents pays Européens.
De ce fait, le projet REST, menée par 2 chercheurs internationaux et cofinancé par le Conseil de l’Europe, avait pour finalité de favoriser l’accès à la régularisation et à la protection administrative aux victimes de traite. La recherche a mobilisé des associations dans chacun des 6 pays participants. Elles ont effectué un état des lieux des pratiques nationales selon leurs observations sur le terrain. Le 6 avril 2021 a eu lieu à Paris le colloque qui concluait le projet par la présentation du rapport final avec un focus sur la situation en France. Ce séminaire a rassemblé, en présentiel et en visio-conférence, une quarantaine de représentants d’institutions et d’organisations concernées par la traite, avec des interventions du conseil de l’Europe, de l’OFPRA, de l’AcSé et d’associations membres du Collectif contre la traite.
Les dispositions de la loi en France
En France, le CESEDA (Code de l’Entrée et du Séjour des Etrangers et du Droit d’Asile) mentionne que les victimes qui déposent plainte pour traite se voient délivrer de plein droit un titre de séjour impliquant une autorisation de travail2. La victime peut ainsi envisager de se réinsérer professionnellement dès le lancement de la procédure judiciaire. Si le procès aboutit à une condamnation des auteurs pour traite, une carte de résident de 10 ans doit être délivrée à la victime.
Si la législation en France semble bien conçue pour favoriser la protection administrative des victimes de traite ayant porté plainte, les dispositions de la loi ne sont que trop rarement appliquées sur le terrain.
Les observations « terrain » en France
Des victimes qui ont peur de porter plainte
Nombreuses sont les victimes de traite qui n’osent pas porter plainte par peur de subir des représailles de la part des exploiteurs sur elles-mêmes ou sur leur famille. De plus, du fait de leur situation irrégulière, elles craignent la confrontation avec la police et de faire face à une approche répressive envers les sans-papiers.
La méconnaissance de l’infraction de traite et des droits des victimes
La majorité des services de police méconnaissent l’infraction de traite. Lors du dépôt de plainte, ils préfèrent généralement ne retenir que les infractions liées aux violences ou au droit du travail (travail dissimulé, emploi d’un étranger non muni d’une autorisation de travail salarié…).
De ce fait, les victimes de traite n’accèdent que rarement au titre de séjour et à la protection administrative prévue par la loi.
Au même titre que la police, les magistrats méconnaissent l’infraction de traite et les droits des victimes qui y sont liés. Les procès n’ont ainsi que très peu de chance de se conclure par une condamnation pour traite.
En conséquence, très rares sont les victimes de traite qui obtiennent une carte de résident.
L’absence de référent « traite » dans la plupart des préfectures
En France, la politique de lutte contre la traite prévoit que dans chaque préfecture soit désigné un référent « traite » qui peut être directement sollicité par la victime pour accéder à ses droits en matière de régularisation. Seulement, ces derniers manquent dans la majorité des départements.
En leur absence, les préfectures refusent régulièrement de délivrer un titre de séjour aux victimes de traite par méconnaissance de la loi à ce sujet.
Les recommandations du rapport pour la France
Dissocier l’accès à la protection administrative de la procédure judiciaire
Le rapport du projet REST recommande d’étendre l’accès à la protection administrative aux victimes de traite qui n’ont pas déposées plainte ou qui ne coopèrent pas avec la justice, comme c’est le cas en Espagne ou dans les Pays Bas.
La régularisation de la situation administrative des victimes doit également s’obtenir sur la seule base de la prise en compte de leur situation personnelle, comme le mentionne l’article 14 de la Convention du Conseil de l’Europe sur la lutte contre la traite.
Former le personnel de police et les magistrats
La formation du personnel de police et des magistrats sur l’infraction de traite et les droits des victimes apparait comme un levier indispensable pour améliorer l’accès des victimes à la protection administrative.
Désigner un référent traite dans chaque préfecture
Le rapport préconise également la désignation d’un référent traite dans chaque préfecture.
Ces derniers, spécifiquement formés aux droits des victimes de traite, auront pour mission leur prise en charge administrative.
Article élaboré en collaboration avec Pascale Martin, juriste au CCEM.
1) Directive 2011/36/UE du Parlement européen et du Conseil du 5 avril 2011 concernant la prévention de la traite des êtres humains et la lutte contre ce phénomène ainsi que la protection des victimes
2) Article L425-1 du CESEDA