Depuis 2016, une collaboration s’est instaurée entre le Comité Contre l’Esclavage Moderne (CCEM), l’Office Central de Lutte contre le Travail Illégal (OCLTI) et l’Inspection du Travail. Elle a pour but d’améliorer la protection et l’accompagnement des victimes de traite par le travail tout en favorisant la réussite des enquêtes.
L’OCLTI est le service enquêteur national spécialisé dans la lutte contre le travail illégal.
L’inspection du travail est quant à elle en charge de faire respecter le droit du travail dans les entreprises. Elle a acquis en 2016 la compétence de constater les infractions de traite
La coopération de ces organismes avec le CCEM s’est installée et renforcée au fil du temps par l’intermédiaire de collaborations sur des affaires traitées en commun. Elle a commencé par des rencontres et des échanges sur les pratiques utilisées dans le cadre d’enquêtes ou sur la manière dont l’association pouvait identifier et accompagner les victimes de traite.
Pour l’association, l’objectif premier était de savoir à qui s’adresser lorsqu’elle rencontrait des difficultés dans le dépôt de plainte ou le signalement de situations d’exploitation. Pour l’OCLTI et l’inspection du travail, il s’agissait d’avoir un interlocuteur vers qui orienter les victimes en vue de leur accompagnement social, juridique et psychologique.
Une coopération favorisant la réussite des enquêtes et l’aboutissement des procédures judiciaires
Faire appel à des services spécialisés pour mener à bien les enquêtes
L’exploitation par le travail, et en particulier l’exploitation domestique, est difficile à prouver. Elle se déroule à l’abri des regards ou dans la sphère privée du foyer. Les contrats de travail ou bulletins de salaires sont en général absents.
Les enquêtes nécessitent alors l’intervention de spécialistes habitués à travailler sur ces formes d’exploitation et qui savent comment obtenir des preuves malgré la complexité des situations.
Ils ont fréquemment recours aux témoignages de tiers ou à des perquisitions pour prouver l’exploitation.
Pour le CCEM, signaler les situations d’exploitation à l’OCLTI favorise l’intervention de gendarmes et policiers spécialisés dans la lutte contre le travail illégal, et donc sensibilisés aux questions de traite et d’exploitation par le travail. Ce qui donne alors plus de chance à la procédure d’aboutir. L’OCLTI peut être cosaisie avec l’inspection du travail. Les deux organismes se répartissent alors l’enquête en fonction de leurs compétences.
Impliquer les victimes dans la procédure pour favoriser sa réussite
Les victimes de traite souhaitent rarement d’elles-mêmes coopérer avec les enquêteurs ou déposer plainte. Elles craignent les représailles de leur exploiteur, mais aussi la police en raison de leur situation administrative. Or, une procédure sans victime est souvent vouée à l’échec. L’OCLTI et l’inspection du travail en ont conscience.
Dans ce contexte, l’intervention d’une association spécialisée dans l’accompagnement des victimes de traite favorise le travail de coopération entre victimes et enquêteurs.
Cela passe par un travail d’information effectué par l’association auprès de la victime sur ses droits, le rôle des autorités dans la procédure et les intérêts de son implication au sein de celle-ci.
Au final, la participation de la victime, par le dépôt de plainte et sa présence au procès par exemple, joue souvent un rôle déterminant dans la réussite de la procédure judiciaire.
Réaliser des enquêtes en flagrance grâce au signalement précoce des victimes par l’association.
L’association étant spécialisée dans l’identification des victimes de traite, elle est en mesure de faire des signalements précoces aux enquêteurs, leur permettant de réaliser l’enquête en flagrance, c’est-à-dire qu’elle s’effectue alors que l’infraction est encore en cours. Dans ce type d’enquête, cet aspect est déterminant.
Il permet d’obtenir des preuves beaucoup plus facilement par des surveillances et des perquisitions prouvant la traite en cours (passeport confisqué, photos des conditions d’hébergement, constat des horaires de travail étendues et des activités d’exploitation par le travail…).
Collaborer avec une association spécialisée pour protéger et accompagner les victimes
Dans le cadre de l’exploitation par le travail, les victimes sont généralement hébergées par leur employeur. Quand une enquête est ouverte, elles se retrouvent généralement en situation de rue, vulnérables et dans une grande précarité. Or, l’OCLTI et l’inspection du travail n’ont en général pas de solution pour orienter les victimes de traite vers une protection et un accompagnement social, juridique et psychologique. En collaborant avec des associations spécialisées, l’OCLTI et l’inspection du travail ont un interlocuteur vers qui diriger les victimes.
La coopération permet d’articuler le travail et le rôle de chaque organisme autour d’objectifs communs : l’intérêt des victimes et la réussite des enquêtes.
Former les acteurs pour les inciter à coopérer avec des associations spécialisées
Pour renforcer la coopération entre l’OCLTI, l’inspection du travail et le CCEM, des formations sont régulièrement organisées à l’Institut National du Travail de l’Emploi et de la Formation Professionnelle, à l’école des inspecteurs du travail et à celle de la magistrature. Elles sont animées par un représentant de chaque organisme dont le rôle est de montrer aux futurs inspecteurs du travail, aux gendarmes et policiers et aux magistrats les intérêts de la collaboration avec une association spécialisée.
L’accent est mis sur les résultats positifs obtenus dans les enquêtes grâce à cette coopération, mais aussi sur l’efficacité de la protection des victimes lorsqu’elles sont correctement orientées.
Ces formations sont l’occasion de revenir sur :
- Les éléments qui définissent une infraction de traite
- L’identification des victimes et des situations d’exploitation
- La complexité de prouver ces formes d’exploitation
- Les solutions à disposition pour mener à bien des enquêtes dans ce contexte
- L’accompagnement juridique et social des victimes proposé par les associations spécialisées
Renforcer, élargir et instaurer la coopération au niveau national
En France, la coopération entre institutions judiciaires et associations fait encore figure d’exception. Elle mériterait d’être instaurée par le gouvernement au niveau national afin de s’élargir à l’ensemble des acteurs judiciaires et des inspecteurs du travail comme le mentionnent les textes internationaux.
Ce résultat implique cependant la mise en place d’une volonté politique clairement orientée dans le sens de la protection des victimes au lieu de privilégier une approche répressive de la traite.
Article écrit en collaboration avec Annabel Canzian, coordinatrice du service juridique au CCEM.