Traite des êtres humains : en France, une lente évolution juridique. (05/01/2021)

Servitude et travail forcé ont été introduits dans le code pénal entre 2003 et 2013, à la suite des condamnations de la France par la Cour européenne des droits de l’homme.

La matière a difficilement émergé dans l’arsenal répressif, au point que la France a été condamnée à deux reprises devant la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) pour son manque de diligence. En 2005, d’abord, dans une affaire mettant en cause Vincent Bardet – fils du fondateur des éditions Seuil, lui-même actionnaire et directeur de collection – et son épouse pour avoir exploité près de quinze heures par jour et pendant plusieurs années une bonne à tout faire togolaise, sans la rémunérer et en lui faisant miroiter une régularisation.

La CEDH a estimé que la France avait violé l’article 4 de la Convention européenne des droits de l’homme, qui interdit l’esclavage et le travail forcé, en ne réprimant pas en tant que tels l’esclavage et la servitude dans son droit pénal. Les époux Bardet ne furent en effet pas condamnés, faisant dire à la Cour que la législation en vigueur à l’époque n’avait pas assuré à la requérante une protection concrète et effective.

En 2012, la Cour a de nouveau estimé que la France avait manqué à son obligation de « mettre en place un cadre législatif et administratif permettant de lutter efficacement contre la servitude et le travail forcé ». L’affaire sur laquelle s’était penchée la juridiction européenne concernait deux hauts dignitaires burundais ayant réduit en esclavage pendant dix ans un ex-cultivateur burundais prénommé Methode. Au début des années 1990, les époux Mpozagara avaient déjà soumis au travail forcé une de leurs nièces orphelines dans leur pavillon de Ville-d’Avray (Hauts-de-Seine), logée avec sa sœur dans le même sous-sol insalubre où Methode passera ensuite dix ans. En 2009, seule l’épouse avait été condamnée pour « violences volontaires aggravées ». En 2019, l’ancien ministre et son épouse ont été finalement condamnés à deux ans de prison avec sursis et 70 000 euros de dommages et intérêts. Ils ont fait appel.

Economie souterraine

Encore aujourd’hui, la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) estime qu’en dépit des évolutions législatives – l’infraction de traite des êtres humains et celles d’esclavage, de servitude et de travail forcé ont été introduites et définies dans le code pénal par des lois de 2003, 2007 et 2013 – « les poursuites et la répression ne sont pas à la hauteur de l’enjeu ».

Un point de vue que ne dément pas Sylvie O’Dy, ancienne journaliste et présidente du Comité contre l’esclavage moderne (CCEM). Elle a “célébré” les dix ans de la première condamnation par un tribunal d’un cas de traite des êtres humains à des fins d’exploitation économique. C’était en octobre 2010, à Lyon. Le CCEM avait soutenu une Sénégalaise employée pendant trente ans par un couple de Français. Sans couverture sociale ni papiers, elle touchait 120 euros par mois pour seize heures de travail par jour. Ses employeurs avaient été condamnés à un an de prison avec sursis.

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