La crise actuelle fait naître de nouveaux besoins chez les victimes de traite à des fins d’exploitation par le travail. Tandis que les procédures juridiques sont en suspens, les impératifs sociaux perdurent et de nouvelles problématiques apparaissent. Pour le Comité Contre l’Esclavage Moderne, l’adaptation du suivi et le maintien du lien avec les personnes deviennent essentiels.
Au niveau juridique, les audiences ont été suspendues. Le suivi par les juristes du CCEM continue et de nombreuses personnes sont en attente du déroulement de leur procédure ou de la réponse à leur demande administrative. En revanche, les besoins sociaux perdurent et de nouvelles problématiques juridiques apparaissent : la prolongation des droits et des titres de séjours en période de confinement, le changement des structures d’aide alimentaire, les droits au chômage partiel, le respect des mesures de sécurité sur le lieu de travail…
Pour répondre à ces nouveaux besoins, une permanence téléphonique juridique et sociale est maintenue 5 jours sur 7, de 9h à 18h.
“Mme K. est obligée d’aller travailler. Son employeur, un particulier, ne veut pas la mettre au chômage technique et ne veut pas non plus lui faire une attestation de circulation professionnelle. Elle a une heure de transport à faire pour aller travailler. Elle a peur et fait part d’épuisement général, de troubles du sommeil, et de palpitations. Mme K. a reçu l’appui de l’association pour faire entendre ses droits à son employeur.” Mona Chamass.
Communication d’urgence en temps de crise
Parmi les personnes accompagnées, beaucoup sont isolées. Essentiellement en raison de la méconnaissance de la langue, il était difficile de saisir leur niveau d’information sur le contexte actuel.
Le premier travail fut donc de les informer de la continuité du suivi par téléphone en raison de la fermeture des bureaux, des nouvelles mesures à respecter, des gestes de prévention et de les accompagner sur l’utilisation des attestations de sortie.
De l’information imagée et traduite accessible à tous
Pour communiquer efficacement sur les éléments essentiels à connaitre durant la crise (gestes barrières, utilisation des attestations de sortie…), l’association a utilisé le réseau WhatsApp.
Les contenus imagés et traduits en plusieurs langues ont permis de s’adresser à chacun selon son niveau de connaissance.
Ils ont vu le jour grâce à la fédération des acteurs sociaux et l’OMS pour les gestes barrières ou encore à d’autres associations pour l’utilisation des attestations simplifiées avec des images.
Répondre aux impératifs d’hébergement
Parmi le public accompagné, des personnes se retrouvent en situation de rue suite à leur sortie d’exploitation ou à l’impossibilité de respecter les mesures de confinement dans certains hébergements chez des tiers. Il a fallu les orienter vers d’autres lieux en capacité de les accueillir. Des personnes ont ainsi pu être hébergées dans des Cités Caritas – Réseau Caritas France en passant par le SIAO (Service Intégré d’Accueil et d’Orientation).
Tout un travail d’actualisation des coordonnées des établissements d’accueil de jour encore ouverts a été effectué pour répondre à l’impératif du logement ou pour trouver des possibilités de confinement le jour, pour les personnes hébergées sur des structures qui n’accueillent que la nuit.
Face à l’urgence l’association a parfois choisi de payer des nuits d’hôtels à certaines personnes, en attendant de trouver une meilleure solution.
Conserver le lien dans les situations extrêmes
Certaines personnes, en situation d’exploitation, n’ont pas pu sortit d’exploitation pour rejoindre un hébergement à cause des mesures de confinement. Elles sont toujours chez leur exploiteur. Dans ce cas, il s’agit essentiellement de maintenir un maximum le lien à distance.
Assurer la survie des personnes les plus démunies
Face aux mesures de confinement, les structures de distribution alimentaire ont changé. Avertir les personnes dans le besoin des nouveaux lieux d’approvisionnement a été primordial. Par ailleurs, des associations se sont mobilisés pour répondre aux besoins des plus précaires. En lien avec d’autres, le CCEM distribue aux personnes dans le besoin des chèques services, ainsi que des masques lavables fabriqués bénévolement par un membre de l’équipe, tout en respectant les gestes barrières, et saisissent l’occasion pour prendre des nouvelles et informer des mesures à respecter.
Maintenir le lien avec les personnes accompagnées dans leurs démarches
“Mme B., quant à elle, explique vivre très difficilement la période de confinement en lien avec sa grossesse à risque. Elle se sent particulièrement isolée, elle ne peut quasiment pas sortir et n’a pas le droit de recevoir de visite. Elle se sent angoissée et stressée et a des troubles de l’alimentation. Pour elle, même à distance, nous sommes un lien social, une écoute, et l’aide qui lui est remise la rassure et lui rend grand service.” Mona Chamass.
Les victimes accueillies à l’appartement d’urgence
Des religieuses, bénévoles de l’association et habitant à proximité de l’hébergement des personnes victimes s’occupent d’entretenir un lien social (par téléphone) avec les personnes accueillies pour leur donner des informations sur les services de proximité, les rassurer. Par ailleurs, des visites hebdomadaires permettent de leur apporter des produits hygiéniques, de l’alimentation, des aides financières ou des masques. C’est aussi l’occasion de communiquer sur les éléments de prévention.
Remise des aides aux personnes en situation irrégulière
En attente de l’obtention de leurs droits, l’association remettait chaque mois en main propres les aides financières et les cartes « restauration solidaire » aux personnes en situation irrégulières. En période de confinement, cela doit se faire à distance, par chèque ou virement. Seulement, toutes n’ont pas de compte bancaire. Il faut alors trouver des personnes de confiance dans leur entourage pour pouvoir leur transmettre ces éléments.
En cas de besoin, pour les personnes qui sont sur Paris, le CCEM continue à se déplacer pour leur apporter leurs aides en respectant les gestes barrières de protection.
Face à cette situation, le CCEM s’est impliqué dans le plaidoyer proposé par le Secours Catholique-Caritas France et soutenu par le Collectif « Ensemble contre la traite des êtres humains » contre la fermeture de bureaux de poste (80% sur le territoire entre le 4 et le 10 avril au moment du versement des allocations) et d’agences bancaires, qui porte particulièrement préjudice aux personnes en situation de précarité qui ne peuvent récupérer de liquidités pour faire leurs courses.
Une ombre sur l’après-crise
En période de confinement, il est difficile de repérer les personnes en situation d’exploitation. Les contrôles de l’inspection du travail ou de la police sont en nette diminution et les associations sont beaucoup moins en mesure d’identifier les victimes. Il faut s’attendre à une augmentation conséquente des victimes à prendre en charge après la crise.
Le CCEM va devoir assurer le suivi de ces nouvelles personnes. Il viendra s’ajouter au cumul des besoins des bénéficiaires actuels qui auront probablement été impactés par les difficultés économiques et sociales de cette période.
Le risque pour l’association est de devoir assurer les moyens humains pour le suivi de l’ensemble des victimes alors que les financements vont probablement diminuer en raison de la crise actuelle.
Le Comité Contre l’Esclavage Moderne
Depuis 1994, il dénonce toutes les formes d’esclavage contemporain partout dans le monde. Il assure un accompagnement social et juridique des victimes de travail esclave, et de traite à des fins économiques. En 25 ans, le CCEM a accompagné plus e 850 victimes.