Pourquoi la lutte contre l’esclavage domestique est-elle si difficile en France? (22/01/2018)

Leila* a dû attendre douze ans avant de voir ce lundi, le procès de celle qu’elle accuse de l’avoir exploitée, s’ouvrir enfin. Aujourd’hui âgée de 32 ans, elle a déposée plainte en 2006 après avoir été réduite en esclavage au domicile d’une connaissance de ses parents. Une bataille judiciaire que certaines victimes de servitude domestique n’ont pas toujours le courage ou les moyens de mener. En 2012 pourtant, un rapport de l’Organisation internationale du travail (OIT) estimait le nombre de personnes victimes de la traite des êtres humains en France à 270.000, dont la majorité faisait l’objet d’exploitation sexuelle ou d’exploitation par le travail. Des drames qui se déroulent bien souvent à huis clos et qui peinent encore à mobiliser

Les femmes, cibles « privilégiées »

Signe de l’intérêt tardif des pouvoirs publics pour cette question, il existe relativement peu de données statistiques sur les victimes de traite des êtres humains. En juin 2017, une étude menée conjointement par l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales (ONDRP) et la Mission interministérielle pour la protection des femmes contre les violences et la lutte contre la traite des êtres humains (MIPROF) a tenté de corriger le tir.

« Il existe différents profils selon les formes d’exploitation et selon les personnes exploitées. 52 % des victimes d’esclavage domestique sont originaires de pays d’Afrique de l’Ouest, 38 % d’Afrique du Nord et de l’Ouest (hors Nigeria). Sur 185 victimes suivies par les associations qui ont participé à l’étude, 96 % sont des femmes, deux tiers étaient majeures lorsqu’elles ont été prises en charge », détaille Amandine Sourd, chargée d’études à l’ONDRP. Contrairement aux victimes d’esclavage sexuel, 6 victimes d’esclavage domestique sur 10 sont exploitées par des personnes connues du cercle familial ou membre de l’entourage proche et non par des filières.

Une prise de conscience tardive

En France, le Comité contre l’esclavage moderne (CCEM) prend en charge les victimes de traite des êtres humains. Depuis 1998, il a accompagné́ plus de 220 procès devant toutes les juridictions, y compris européennes. Vice-présidente du CCEM, Sylvie O’Dy se souvient de débuts difficiles : « Quand le comité s’est créé dans les années 1990, on nous riait au nez. Personne ne parlait de ces questions. Ça n’était même pas un tabou, c’était un terme inconnu. “Des situations d’esclavage au XXe siècle en France ? Pas possible”, nous disait-on. Et à l’époque, aucun article spécifique dans le Code pénal ne condamnait ces délits ».

Aujourd’hui, la militante le reconnaît, il y a eu une « amélioration » dans la prise en compte législative et judiciaire des cas de traite domestique. Il aura fallu attendre la loi du 5 août 2013 pour que l’infraction soit précisément définie. Cette infraction, si elle est prouvée, est punie de sept ans d’emprisonnement et de 150.000 euros d’amende. « Notre nouveau combat, c’est de faire appliquer cette loi », poursuit Sylvie O’Dy.

Côté ministère, ce n’est qu’en 2014 que le politique s’empare de la question en proposant un « Plan d’action national contre la traite des êtres humains », sous la houlette de Najat Vallaud-Belkacem.

Mais « il existe un déséquilibre énorme entre les moyens mis en œuvre pour la lutte contre l’exploitation sexuelle et ceux pour la lutte contre l’exploitation domestique. Parce que la prostitution et le proxénétisme ça se voit, parce que ça a toujours existé, analyse la vice-présidente du CCEM, c’est évidemment un problème important mais l’exploitation domestique et professionnelle existe aussi partout : dans le bâtiment, dans la restauration, dans l’agriculture, chez des particuliers. Sauf qu’on ne la voit pas ».

Une justice timide

Le parcours judiciaire de Leila* démarré en 2006 « illustre parfaitement » les difficultés qui existent en France à poursuivre les auteurs de servitude domestique selon son avocate Juliette Vogel. « Et quand des condamnations sont prononcées, il s’agit de peines limitées à du sursis et à une indemnisation symbolique », ajoute-t-elle.

« C’est très dur de regrouper des preuves. Les victimes sont souvent dans des situations de faiblesse et ne parlent pas toujours français. C’est très difficile d’obtenir des témoignages et par définition, on est souvent dans un huis clos », reconnaît Florent Boitard, délégué à l’Union syndicale des magistrats (USM).

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