Rencontre avec Urmila, ex-domestique esclave (24/10/2015)

FEMMES DU MONDE – Chaque semaine, Karen Lajon, grand reporter au JDD, revient sur le parcours exceptionnel ou peu ordinaire de femmes, dans le monde. Cette semaine, elle a rencontré Urmila, 26 ans, ancienne “kamalari”, une domestique esclave. La jeune femme parée de ses plus beaux atours népalais, s’est prêtée au jeu des int

erviews, avec une générosité exemplaire.



L’interview roule depuis un petit moment déjà. Urmila raconte son histoire comme elle l’a fait un certain nombre de fois déjà, depuis le matin. Puis, c’est le silence. Un geste las, une main sur le front, un regard qui se fait plus vague, plus distant, un semblant de larmes peut-être, non, même pas. Que se passe-t-il, soudain? Quelle est la partie de son récit qu’elle ne supporte plus de répéter? Je n’en saurai rien. Son accompagnateur le soufflera plus tard : “Depuis qu’elle est arrivée en France, pour incarner la Journée internationale des filles, en tant que ambassadrice de l’ONG Plan International, c’est la première fois que je la vois flancher comme ça”. Urmila se reprend. Et emporte avec elle, cette seconde de faiblesse, que seules les héroïnes de son envergure abritent en elles.

Il y a tant de mystères dans le visage de cette jeune femme de 26 ans. Tant de douceur et de force, d’interrogation et de certitude. Lorsqu’elle quitte les lieux, elle hésite, une peur fugace, se signe très vite, et pénètre dans l’ascenseur. Comment ne peut-on voir, nous pauvres Occidentaux, quel courage anime cet ex-domestique esclave, propulsée dans un monde nouveau, où la modernité a si peu de sens pour elle et dont elle devine pourtant le parti qu’elle peut en tirer? Savions-nous, comment elle a appris l’anglais? Non, bien sûr. Dans la boue, avec ses mains, une à une, elle a dessiné les lettres ou plutôt les signes de cette chose si étrange que d’autres parlent et écrivent, et qu’on appelle l’anglais. Que peut-on connaître de ces tourments et de ces souffrances, nous pour qui, le savoir est une évidence, voire un dû?

Une descendance maudite : celle du système Kamalari

Urmila a six ans. On l’imagine très petite, menue et peut-être même un peu espiègle. Que peut-il bien lui arriver, alors que ses parents l’aiment et qu’elle dépend d’une fratrie de sept personnes? Le pire, voilà ce qui va advenir. “Nous étions si pauvre, pas de terre, pas d’argent, pas de nourriture et mon père est tombé malade. La seule façon pour lui d’aller à l’hôpital était de me ‘prêter’ en servante à une famille qui plus aisée”.
Les frais seront payés. Soixante-deux millions de filles sont toujours privées d’éducation à travers le monde, rappelle l’ONG Plan International. Il y aurait près de 15,5 millions d’enfants esclaves domestiques, parmi lesquelles 70% de filles âgées de 5 à 17 ans. Au Népal, ces enfants issus des couches les plus défavorisées de la population, sont désignés sous le terme de “kamalari”. Ils sont “vendus ou prêtes” pour une somme dérisoire. Urmila, qui est devenue la Présidente d’un forum de kamalari qui compte quelques 13.000 membres, est fière de pouvoir dire que depuis qu’elle est libre, elle a contribué à sauver, avec l‘aide de l”ONG, 3.775 domestiques esclaves.
“Master”
Le bagne domestique est instauré. “Le ‘Master’ parlait népalais, je ne comprenais rien et il me hurlait dessus quand il prononçait mon nom.” Aller chercher de l’eau, cinquante-cinq minutes, aller-retour. Emmener les enfants de la maison, à l’école. Il n’y en aura jamais pour Urmila, une école qu’on lui avait aussi pourtant fait miroiter. Jamais de petit cartable, de gomme et de crayons, de jolis livres avec des images en couleur. Il n’y aura que du travail du matin au soir, de la cuisine qu’elle ne sait pas faire, bien sûr. Mais qui sait cuisiner, à six ans? “Je ne connaissais rien à la modernité, je n’avais jamais vu de voiture, je ne savais même pas ce qu’était un bouton”. Des coups, des humiliations de la part des enfants de la famille, voilà ce qu’elle a en retour. “Je voulais juste jouer avec eux mais ils ne le voulaient pas, ils disaient on ne peut pas jouer avec toi, tu es une servante”. Mon dieu, que s’imagine-t-elle, cette petite péronnelle, jouer avec les héritiers ceux qui apprennent à lire et à écrire! Une hérésie! Urmila restera six ans.

 

“Mistress”, la politicienne

Puis elle est donnée à quelqu’un d’autre. Une “Mistress”, une politicienne. Une combinaison qui devrait lui porter chance. Une femme pourrait-elle maltraiter un enfant qui plus est, quand elle parle de droit de devoir, de moral et de corruption. Eh bien si. Urmila, qui a maintenant 14 ans, doit cuisiner cinq plats par jour et si un déplaît à la “Mistress”, il est immédiatement jeté à la poubelle.

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