Christelle Bougard : Être esclave en France (16/02/2014)

L’esclavage existe depuis l’Antiquité et se maintient encore aujourd’hui en France de manière informelle. La jeune sociologue C. Bougard brise le tabou de ce “phénomène social en expansion” en révélant la situation des “petites bonnes”, “esclaves” selon la définition du CCEM (Comité Central Contre l’Esclavage Moderne): “la situation d’un individu placé en état de vulnérabilité par une contrainte physique ou morale, forcé d’exercer des travaux domestiques (…) sans qu’il lui soit octroyé de rémunération, ou qu’une infime contrepartie”; et “modernes” car cette pratique reste invisible.


En Afrique de l’Ouest, d’où viennent 76% de ces jeunes filles, on place traditionnellement un enfant chez des parents pour le socialiser et l’éduquer. Le plus souvent on le vend, ou on le gage pour rembourser une dette familiale. Lorsque des intermédiaires africains envoient en Europe via des réseaux clandestins des fillettes de moins de quinze ans souvent analphabètes, ils leur font croire à leur scolarisation; mais de jeunes mères s’y engagent aussi afin de payer les études de leurs propres enfants. Quels que soient les multiples mobiles de ces déplacements, toutes vivent en Occident une situation pire que celle qu’elles ont connue dans leur pays d’origine.

On leur confisque leur passeport : privées d’identité, elles subissent de graves atteintes physiques et morales ; totalement dépendantes, elles vivent sous la menace d’une dénonciation aux autorités ; en totale rupture familiale et culturelle, on leur interdit tout contact avec la société d’accueil. Totalement désocialisées, ces jeunes filles n’ont plus statut d’humain ; leur marchandisation exonère leurs maîtres de tout respect. Endurant humiliations, viols, propos racistes, physiquement captives, leur conditionnement psychologique bloque toute tentative de rébellion, même lorsqu’un maître leur interdit de pratiquer leur religion : “Tu ne vas pas aller prier… Tu ne sais pas que l’Islam n’est pas fait pour les Noirs comme toi ?”.

La TV, les liens d’affection tissés avec les enfants dont elles s’occupent ne compensent guère leur ressenti de solitude et de dépersonnalisation. La plupart n’ont ni jour de repos, ni espace d’intimité et mangent à part comme des animaux. On ne peut mettre en œuvre aucun contrôle car devant l’assistante sociale, le couple de maîtres fait passer sa “petite bonne” pour un membre de la famille. Dans cette forme “moderne”, l’esclave n’est plus physiquement mais psychologiquement entravé.

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