Olivier Peyroux est sociologue et président de l’association Koutcha. Il travaille depuis plus de dix ans auprès des mineurs victimes de la traite. Il vient d’obtenir le prix Caritas – Institut de France 2013 pour son livre «Délinquants et Victimes. La traite des enfants d’Europe de l’Est en France » ( Ed Non Lieu) Avant-propos de Robert Badinter.
« Les pilleurs d’horodateurs », « les pickpockets du métro », « les voleurs des distributeurs automatiques de billets »… Par qui ces enfants sont-ils exploités ? Est-ce par leurs parents ? Par des réseaux mafieux ? Ces pratiques relèvent-t-elles de la criminalité organisée ou d’une forme de débrouille économique initiée par des familles dans le besoin ? Pourquoi les forces de l’ordre, la protection de l’enfance ou les associations se montrent-elles si impuissantes à agir ? Afin de répondre à ces nombreuses questions qui reviennent régulièrement dans l’actualité, l’écriture de ce livre m’est apparue comme une nécessité. Car l’absence de travaux sociologiques sous-tend le discours xénophobe sur les Roms au détriment de la nécessaire protection des victimes.
Pour décrire ces réalités, outre les enquêtes et les études qui expliquent l’apparition du phénomène, je me suis appuyé sur les observations et les témoignages recueillis pendant plus de dix ans lors de ma pratique professionnelle. En effet, après avoir travaillé six ans en Roumanie et dans les Balkans j’ai été directeur adjoint en charge des questions traite au sein de l’association Hors la Rue. En parallèle, j’ai été amené à faire des missions d’expertise dans le cadre de différents projets européens sur cette question. Ces expériences de terrain m’ont permis de mieux cerner les représentations des victimes, leurs mentalités leurs motivations initiales et les modes d’emprise psychologique.
En effet, l’approche actuelle qui consiste à définir la traite des mineurs par les formes d’exploitation (mendicité, vol, prostitution, esclavage domestique …) m’est apparu comme risquée car elle aboutit à négliger les causes et à perdre de vue les dynamiques qui en découlent. Comprendre la traite des mineurs nécessite plutôt de s’interroger sur :
- les raisons qui poussent un individu, une famille, un village ou une organisation criminelle à exploiter à un moment donné des enfants.
- La façon dont se développe cette exploitation ?
- La façon dont elle se transforme ou disparaît ?
Or, c’est en entrant dans l’intimité de ces groupes, de ces familles, de ces mineurs, en prenant connaissance des stratagèmes qu’ils élaborent pour échapper à la vigilance institutionnelle mais parfois aussi à leurs exploiteurs qu’il est possible de commencer à découvrir ce qui se cache derrière ces enfants que nous croisons dans notre quotidien.
Pour partager ces observations de la manière la plus accessible possible j’ai souhaité plonger le lecteur dans l’univers des victimes, à travers l’histoire de nombreux groupes exploitant ou ayant exploité des enfants en France et en Europe de l’Ouest.
Pour ne pas sombrer dans la fatalité un recensement des initiatives en Europe ayant prouvé leur efficacité m’est apparu comme essentiel afin de recentrer le débat sur son seul enjeu véritable : comment protéger aujourd’hui en France les enfants victimes de la traite des êtres humains ?