Existe-t-il des esclaves dans la France de 2013 ? La question se pose car, à deux reprises, la France a été condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) pour ne pas avoir mis en place “un cadre législatif et administratif permettant de lutter efficacement contre la servitude et le travail forcé”.La possibilité de modifier le code pénal pour remédier à cette lacune est en cours de discussion au Parlement. Il s’agit d’expliciter la manière dont la loi définit l’esclavage, entre autres choses pour l’étendre à la situation de ces jeunes femmes, “petites bonnes” souvent étrangères, qui travaillent sans salaire et sans horaire défini pour garder des enfants, faire la cuisine et le ménage. Faute de définition précise dans la loi française, les employeurs coupables de tels agissements n’ont été que légèrement sanctionnés.Le débat au Parlement conduit à se poser deux questions : le terme “esclave” doit-il être limité aux relations de propriété sur des personnes, découlant de la traite des Noirs ? Faut-il restreindre notre perception historique de l’esclavage au monde des plantations de coton, de sucre et de café, qui exploitait des êtres humains sous prétexte que leurs maîtres en étaient “propriétaires” ? La réponse est deux fois non. Nous sommes de plus en plus nombreux, historiens et juristes, à être convaincus que l’on peut introduire le mot “esclavage” dans le droit pénal d’aujourd’hui sans commettre d’anachronisme.Depuis 1926, le droit international définit le terme “esclavage” comme“l’état ou condition d’un individu sur lequel s’exercent les attributs du droit de propriété ou certains d’entre eux”. Il n’est nullement question de titre de propriété mais d’attributs. Le plus important de ceux-ci est l’emprise qu’une personne peut exercer sur une autre. Même à l’époque de la traite transatlantique où le droit de propriété sur un individu était reconnu, c’était souvent cette emprise qui conférait le titre de propriété, et non l’inverse.PARTIR DE LA RÉALITÉ ET NON DU DROIT
En partant non pas du droit mais de la réalité des rapports domestiques en milieu urbain, on peut rapprocher la situation de certains esclaves du XIXe siècle de celle des femmes réduites aujourd’hui à l’esclavage moderne. Cette proximité apparaît clairement si l’on compare deux histoires vécues à deux siècles de distance par deux jeunes femmes qui se trouvaient dans des villes où elles n’avaient de liens sociaux que de dépendance à l’égard de personnes qui, progressivement, allaient tenter de les mettre en esclavage.
La fillette nommée Sanitte, dont le parcours a pu être retracé grâce aux archives, est née dans la colonie française de Saint-Domingue après la première abolition de 1793-1794, et donc libre selon la loi française. Elle va devenir réfugiée de guerre lorsque Napoléon Bonaparte envoie une expédition militaire à Saint-Domingue. En effet, à l’âge de 6 ans, Sanitte se trouve sous la garde d’une femme nommée Marthe Boyer qui l’emmène avec elle lorsqu’elle s’exile à Cuba en 1803, puis en Louisiane en 1809. Installée dans des pays où l’esclavage demeure reconnu, Marthe parvient progressivement à réduire Sanitte à la condition d’esclave. Déjà à Cuba, plusieurs témoins étaient prêts à affirmer que Sanitte “appartenait” à Marthe Boyer.
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