Jurisprudences du CCEM

LE CCEM, UNE REFÉRENCE DANS LA LUTTE CONTRE LA TRAITE DES ÊTRES HUMAINS À DES FINS D’EXPLOITATION PAR LE TRAVAIL

Depuis sa création le Comité contre l’esclavage moderne lutte pour la poursuite et la condamnation des auteurs en accompagnant les victimes dans leurs démarches juridiques et/ou en se constituant partie civile à leurs côtés. C‘est dans ce cadre que les premières condamnations de traite des êtres humains à des fins d’exploitation par le travail ont pu être rendues par les juridictions françaises. Il y a aujourd’hui peu de condamnation définitive au visa de l’infraction de traite des êtres humains à des fins d’exploitation par le travail ce que le CCEM ne peut que regretter compte tenu de l’ampleur du phénomène. En outre, ces jurisprudences ne rarement publiées. Ainsi, le CCEM souhaite partager les différentes décisions concernant la traite des êtres humains à des fins d’exploitation par le travail. 

En plus de 30 ans, le CCEM a permis l’obtention de nombreuses décisions, dans des domaines variés du droit et sur la base de diverses infractions. Retracer nos archives, analyser les décisions et les synthétiser pour notre site interne prend du temps. Vous avez des connaissances juridiques et souhaitez vous engager auprès du CCEM pour l’analyse des jurisprudences ? N’hésitez pas !

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I - Droit penal : infraction de traite des êtres humains

Tribunal judiciaire de Lyon, 5ème chambre correctionnelle – 16 décembre 2010 – Décision Madame S.F., n° de parquet 09000118676

En l’espèce, la victime, en situation irrégulière, avait dû, pendant plus de 10 ans, travailler comme domestique plus de quinze heures par jour, 7 jours sur 7, sans contrat de travail, sans congé et pour une rémunération allant de 100 à 150 euros par mois pour un couple de français.

Sur l’action publique, le couple a été reconnu coupable de l’ensemble des chefs d’inculpation pour une période uniquement de un an et demi. Les infractions notamment de traite d’être humain (article 225-4-1 du code pénal), de soumission à des conditions de travail  indignes (article 225-13 du code pénal et d’absence de rémunération d’une personne vulnérable (article 225-14 du code pénal) ont été retenues. Ils ont été condamnés individuellement à une peine d’un an d’emprisonnement intégralement assortie du sursis.

Sur l’action civile, le tribunal a condamné solidairement le couple à verser à la partie civile les sommes de 26 360,06 euros au titre des pertes de salaire, 8 000 euros au titre de ses droits à la retraite et 6 000 euros en réparation du préjudice moral. La constitution de partie civile du CCEM a été reconnue recevable et il lui a été alloué conformément à sa demande la somme symbolique de 1 euro de dommages-intérêts.

Remarques : il s’agit, à la connaissance du CCEM, de la première condamnation pour traite des êtres humains après l’entrée en vigueur de la loi du 20 novembre 2007 dans une affaire dans laquelle le CCEM s’est constitué partie civile. Après cette modification législative, la condition de mise à disposition d’un tiers n’était plus requise, facilitant ainsi la constitution de l’infraction. De plus, dans cette décision peu motivée le cumul d’infractions des articles 225-4-1, 225-13 et 225-14 du code pénal a été admis. Enfin, il peut être noté que le tribunal retient l’existence du préjudice de perte de salaire et de droit à la retraite sans renvoyer à la compétence du Conseil des prud’hommes qui en l’espèce n’avait pas été saisi.

Cour d’appel de Caen, chambre des appels correctionnels – 18 février 2013 – Décision Monsieur S. K., dossier n°13/00129

En l’espèce, la partie civile, de nationalité cambodgienne, souffrant de troubles intellectuels, a travaillé comme homme à tout faire pendant six années dans un haras pour le compte de la prévenue et de sa mère. Monsieur K. travaillait dix heures par jour, 7 jours sur 7, était rémunéré entre 100 et 150 euros par semaine, sans congé et avec un repos d’une demi-journée le dimanche. En outre, Monsieur K. était hébergé dans un appartement dégradé et mal entretenu, sans chauffage. Il était totalement isolé ne disposant d’aucun moyen de transport pour se rendre en ville. Un tiers avait alors alerté le CCEM de la situation de la victime qui l’a prise en charge et l’a accompagnée dans ses démarches juridiques. En première instance, le tribunal avait condamné la prévenue pour l’ensemble des infractions objets des poursuites du parquet et avait relaxé la mère de la prévenue de tous les chefs d’inculpation. La victime, ayant considéré que les poursuites n’étaient pas suffisantes, avait fait délivrer une citation directe au visa de l’infraction de traite des êtres humains pour la prévenue. Pour autant, le tribunal avait relaxé également sur ce point. Ainsi, la prévenue avait interjeté l’appel des condamnations s’agissant des infractions poursuivies par le parquet, suivi d’un appel incident du procureur de la République. La victime et le CCEM ont également contesté cette décision cependant leur appel était légalement limité aux seuls intérêts civils. 

Sur l’action publique, la Cour d’appel, par une décision motivée, confirme le jugement de première instance sur la déclaration de culpabilité pour notamment les deux délits développés ci-après et condamne la prévenue à un an d’emprisonnement avec sursis.  

  • Rétribution inexistante ou insuffisante du travail d’une personne vulnérable ou dépendante (article 225-13 du code pénal) : la Cour relève que la vulnérabilité et la dépendance de la partie civile ne pouvait être contestées par la prévenue au vu de leur caractère particulièrement apparent. Aujourd’hui, la victime bénéficie d’un régime de curatelle. En outre, pour les magistrats, le salaire de 400 à 600 euros par mois était, par rapport à un salarié agricole, largement insuffisant. Enfin, la Cour retient que le fait pour la prévenue d’organiser le planning de Monsieur K. et de lui donner des ordres caractérisait la relation de dépendance d’employeur à employé.
  • Soumission d’une personne vulnérable ou dépendante à des conditions de travail indignes ou d’hébergement incompatible (article 225-14 du code pénal) : pour retenir ce chef d’inculpation, la Cour retient la fragilité de la partie civile, son isolement culturel et géographique, sa mauvaise connaissance du français, sa limitation intellectuelle, sa dépendance, son absence de contact, de couverture sociale, d’accès médical, de repos, et l’impossibilité de s’éloigner.

Sur l’action civile, la Cour constate que les éléments constitutifs du délit de traite d’un être humain particulièrement vulnérable étaient réunis à l’encontre de la prévenue et de sa mère, qui avaient toute deux été relaxées de ce chef en première instance et ainsi la Cour retient que la responsabilité civile de deux mises en cause était engagée. Il convient de rappeler que la relaxe sur l’infraction de traite des êtres humains était définitive, ainsi aucune conséquence pénale ne pouvait être tirée de ce raisonnement et aucune peine n’a été prononcée. La Cour a cependant condamné solidairement la prévenue et sa mère à prendre en charge les conséquences civiles et donc à verser à la victime la somme de 12 000 euros en réparation de son préjudice moral et 1 euro symbolique au CCEM. 

Remarques : au-delà de l’analyse juridique très intéressante sur la qualification juridique des faits objets de la poursuite à l’origine d’une faute civile entraînant une indemnisation, il peut être relevé la motivation particulière concernant l’infraction de traite des êtres humains. En effet, la Cour estime qu’« [I]l importe peu qu’en l’espèce la victime, en raison de sa particulière vulnérabilité et de sa totale précarité, se soit auto-livrée à son exploiteur ».

Tribunal judicaire d’Evry, 10ème chambre correctionnelle – 9 avril 2014 – Décision Messieurs J.H. et JP.G., n° de parquet 13337000168

En l’espèce, les deux victimes, âgées et soufrant d’un déficit mental, de nationalité française ont travaillé pendant douze ans pour le compte d’une société, respectivement 50 heures et 20 heures par semaine pour une rémunération de 20 euros, sans congés ni repos. Leurs documents avaient été confisqués, ils étaient mal nourris et étaient hébergés dans une cabane de chantier insalubre au cœur de la société d’appâts de pêche.  

Sur l’action publique, le tribunal a déclaré le prévenu coupable des faits que lui était reprochés au visa des infractions de traite d’être humain commise à l’égard de plusieurs personnes vulnérables, de rétribution inexistante ou insuffisante de plusieurs personnes vulnérables ou dépendantes et de travail dissimulé. Ainsi le prévenu est condamné à une peine d’emprisonnement délictuel de cinq ans (avec un sursis partiel pour une durée de trois ans), à un mandat de dépôt et à onze amendes de trois mille euros. En peine complémentaire, le prévenu a l’interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler une personne morale pour une durée de cinq ans.

Sur l’action civile, le prévenu a été condamné à indemniser les parties civiles ainsi leur préjudice moral a été estimé à hauteur de 125 000 euros pour chaque victime. La constitution de partie civile du CCEM a été déclarée recevable et il lui a été alloué conformément à sa demande, 1 euros symbolique en réparation de son préjudice. 

Remarques : sans motivation développée, le tribunal rejette le cumul d’infraction de traite des êtres humains (article 225-4-1 du code pénal) et de conditions d’hébergement indignes (article 225-14 du code pénal) considérant que les faits de soumissions de plusieurs personnes vulnérables ou dépendantes à des conditions d’hébergement indignes sont compris dans la prévention visant les faits de traite des êtres humains. En outre, le tribunal ne retient une prévention que sur les trois dernières années d’exploitation estimant que les faits antérieurs étaient prescrits et ce, alors même que l’infraction de traite des êtres humains est considérée par la doctrine comme une infraction continue.

Tribunal judiciaire d’Aurillac – 29 janvier 2015 et Cour d’appel de Riom – 17 juin 2016 – Décision Messieurs S.O. et M.O., n° parquet 14204000030 et n° dossier 15/00271

En l’espèce, deux jeunes marocains ont été recrutés depuis le Maroc par le prévenu pour travailler comme saisonniers et avaient dû pour cela lui verser une somme de 7 000 euros. Ils ont travaillé du 1er mars au 17 juillet 2014 dans des conditions particulièrement difficiles, plus de douze heures par jour, 7 jours sur 7, sans repos ni congés. Ils n’étaient pas payés et étaient logés dans un petit studio avec pour seul confort des petits matelas en mousse. En outre, l’employeur leur avait pris leur passeport, leur extorquait de l’argent, exerçait des pressions et menaces à l’égard de leurs familles et était physiquement violent. Ayant été condamné en première instance par le tribunal judiciaire d’Aurillac, le prévenu a interjeté appel. La Cour d’appel de Riom a confirmé dans toutes ses dispositions le jugement intervenu. 

Sur l’action publique, le Tribunal judiciaire d’Aurillac et la Cour d’appel de Riom ont condamné le prévenu pour l’ensemble des infractions qui lui étaient reprochées et notamment l’article 225-4-1 du code pénal prévoyant la traite des êtres humains. En répression le prévenu est condamné à une peine de trois ans d’emprisonnement délictuelle assorti du sursis pour une durée d’un an et avec un mandat de dépôt.

Sur l’action civile, les constitutions de partie civile des deux victimes ont été jugées recevables ainsi que celle du CCEM. La Cour d’appel de Riom a estimé le préjudice moral de Messieurs S.O. et M.O. à 10 000 euros et le préjudice matériel à 12 000 euros pour l’un et 13 000 euros pour l’autre. Le CCEM s’est vu alloué la somme de 1 euro symbolique à hauteur de ses demandes.

Remarques : il s’agit, à la connaissance du CCEM, de la première décision au visa de l’article 225-4-1 du code pénal modifié par la loi du 5 août 2013. De plus, par une décision motivée, la Cour d’appel de Riom, le 17 juin 2015, confirme le jugement en ce qu’il a retenu la qualification de traite des êtres humains et ce bien que « les conditions dans lesquelles les deux victimes sont venues travailler ont l’apparence de la légalité, puisqu’elles sont venues sous couvert de titres réguliers, avec un contrat de travail, que ses employés ont eu un bulletin de paie ». La Cour dit qu’il y a bien eu recrutement, transfert et hébergement, après exercice de manœuvres dolosives (notamment de faire croire que l’Etat français réclamait une somme de 7 000 euros pour pouvoir travailler sur le territoire) et rappelle que les conditions d’exploitation des victimes par des conditions de travail et d’hébergement contraires à la dignité sont établies. Pour cela elle prend en compte « le reversement immédiat du salaire sur le compte de l’employeur, le fait que les passeports et autres documents soient restés entre les mains de l’employeur ». En outre, les conditions de soumission au travail des victimes étaient démontrées par « la surveillance de l’employeur, qui venait les chercher au travail (…) et l’agression du prévenu ». Quant aux conditions indignes d’hébergement, la Cour relève la taille de l’appartement (24m2) non meublé, qui ne comportait qu’un minimum de meubles et deux matelas posés au sol.

Tribunal judicaire de Pontoise, 6ème chambre correctionnelle – 25 janvier 2017 – Décision famille D, n° de parquet 111152006080

En l’espèce, la famille D., d’origine roumaine, composée d’un couple et de deux enfants de six ans, était hébergée chez une autre famille d’origine roumaine également. La famille C. avait fait venir la famille D. en France et avait confisqué leur passeport. La famille D. avait alors été contrainte de travailler pour leur compte de janvier 2009 à mai 2011 et subissait de leur part de graves violences physiques ainsi que sexuelles pour Madame D. Seule Madame D. était rémunérée 350 euros par mois. Aucun des membres de la famille D. ne disposait de jours de repos ni de congés. Monsieur D. ayant été contraint de travailler dehors dans le froid, a eu le pied gelé et du fait d’une absence de soin a dû subir une amputation.

Sur l’action publique, le tribunal a déclaré le prévenu coupable de l’ensemble des infractions qui lui était reproché à savoir la traite d’être humain commise dans des circonstances exposant directement la victime à un risque immédiat de mort ou d’infirmité permanente et à l’égard d’une personne à son arrivée sur le territoire de la république et de rétribution inexistence ou insuffisante de plusieurs personnes vulnérables ou dépendantes. En répression, le prévenu est condamné à une peine de 18 mois d’emprisonnement délictuel.

Sur l’action civile, le tribunal de Pontoise a reçu les constitutions des 4 victimes et du CCEM.  Il a retenu l’existence d’un préjudice corporel et moral pour Monsieur D., d’un préjudice financier et moral pour Madame D. et de préjudice moral pour les deux enfants D.  Conformément à sa demande, il a été alloué la somme de 1 euro symbolique au CCEM.

Remarques : le tribunal a fait application de l’article 225-4-1 du code pénal dans sa rédaction issu de la loi du 05 août 2013, soit postérieurement aux faits, considérant que s’agissant d’une loi d’incrimination qui n’est pas défavorable au prévenu puisqu’elle n’étend pas le champ de l’incrimination et ne modifie pas les peines encourues, cette loi est d’application immédiate. De plus, pour retenir l’infraction de traite d’être humain à des fins de conditions de travail indignes, le tribunal retient les éléments suivants : la confiscation des passeports, le contexte de violence, le risque pour l’intégrité physique, le retard dans la prise en charge de la pathologie, la charge de travail extrêmement lourde, l’absence de repos, la  faiblesse ou l’absence de rémunération.

Cour de cassation, chambre criminelle, 24 octobre 2017, n° 17-84629

En l’espèce, la victime d’origine ivoirienne, recrutée dans son pays d’origine, indique avoir travaillé pendant 3 ans pour un couple de compatriotes en France plus de 12 heures par jour, 7 jours sur 7 sans repos ni congés. Elle avait la charge de l’ensemble des tâches domestiques, de la cuisine et de la garde des enfants du couple. Elle était rémunérée 70 euros par mois. Elle dormait sur un matelas au sol dans le salon et ne pouvait bénéficier de soin.

Sur la procédure, l’arrêt de la chambre criminelle est intervenu au stade de l’instruction du dossier. Ainsi, la situation n’a pas encore fait l’objet d’une décision de fond.

Remarques : la décision rappelle que la mise à disposition à un tiers d’une personne pour qu’elle exerce un travail sans rémunération sont des éléments suffisants pour caractériser la traite des êtres humains et que les faits doivent être poursuivis sous la qualification la plus haute, en l’espèce la traite des êtres humains.

Tribunal judiciaire de Nanterre, 18ème chambre correctionnelle – 18 janvier 2018 – Décision Madame A.H., n° de parquet 17189000006

En l’espèce, la victime, de nationalité indonésienne, a été recrutée aux Emirats Arabes Unis puis transportée, hébergée et accueillie par le couple de prévenus qui avait confisqué son passeport. En situation irrégulière, elle a effectué au domicile du couple des tâches domestiques et de garde d’enfants 10 heures par jour, 7 jours sur 7 de février 2016 à juillet 2017. Son travail n’a jamais été déclaré. Elle ne bénéficiait pas de contrat de travail ni de bulletin de paie. Elle était rémunérée 250 euros par mois, salaire directement adressé à sa famille au pays. Elle n’a disposé d’aucun repos ni congés. Elle dormait sur un matelas au sol dans la chambre des enfants dont elle avait la garde et ses affaires étaient rangées dans une valise dans la salle de bain commune aux enfants. Elle n’avait donc aucune intimité. Elle était isolée ne parlant pas le français et n’ayant aucune famille ou connaissance sur le territoire français. 

Sur l’action publique, le tribunal a retenu l’ensemble des infractions poursuives et notamment celle de traite d’être humain commise à l’égard d’une personne à son arrivée sur le territoire de la République et de travail dissimulé. Ainsi, les prévenus ont été individuellement condamnés en répression à une peine de 3 ans d’emprisonnement délictuelle totalement assorti du sursis ainsi qu’au paiement chacun d’une amende à hauteur de 10 000 euros.

Sur l’action civile, le tribunal a condamné solidairement les prévenus à verser la somme de 10 000 euros en réparation du préjudice moral. La juridiction a également reçu la constitution de partie civile du CCEM et il lui a été alloué la somme de 1 euro symbolique, conformément à sa demande.

Remarques : pour qualifier la traite, le tribunal a retenu que « la victime se tenait à disposition du couple jour et nuit tant pour s’occuper des enfants que pour faire le ménage, elle n’avait pas d’espace privatif dans le domicile et ne pouvait prendre aucun jour de congé en dehors de celui-ci (…). En rémunération de ce service continu, elle bénéficiait d’un versement de 250 euros mensuel destiné à sa famille en Indonésie. Ces sommes (…) apparaissent comme dérisoires ». En outre, le tribunal a rappelé que le fait que la victime ait accepté d’être traitée ainsi ne peut avoir aucun effet sur l’appréciation de l’élément intentionnel de l’infraction.

Cour d’appel de Versailles, 9ème chambre correctionnelle de Versailles - 14 février 2019 - Décision R. L. sur appel du jugement du tribunal correctionnel du 31 octobre 2017, n° RG 18/00694

En l’espèce, la victime, ressortissante togolaise, a été recrutée en Côte d’Ivoire alors qu’elle travaillait pour la sœur du prévenu. Cette dernière lui aurait alors proposé de travailler pour son frère et sa femme en France en tant que garde d’enfant et aide ménagère en échange d’un salaire de 100 euros par mois et des cours d’alphabétisation. Dès son arrivée sur le territoire français le 15 octobre 2005 et ce jusqu’à sa fuite le 21 septembre 2008, la victime, en situation irrégulière, a effectué au domicile du couple des tâches domestiques et de garde d’enfants de 5h30 à 23h30 sans être déclarée. Elle dormait sur un matelas posé au sol dans le salon et devait attendre que toute la famille aille se coucher pour pouvoir se reposer. Elle était régulièrement insultée, ses sorties étaient contrôlées, et son passeport confisqué. Pour toute rémunération, la victime a perçu 2500 euros pour 3 ans, répartis de manière très irrégulière, le couple alléguant des problèmes financiers.

Sur l’action publique, le tribunal a reconnu coupable le couple de traite des êtres humains ainsi que des autres infractions connexes d’aide au séjour irrégulier, rétribution insuffisante d’une personne vulnérable, soumission à des conditions de travail indignes et emploi d’un étranger sans titre. En conséquence, il a prononcé à l’encontre des deux prévenus une peine d’emprisonnement délictuel de 18 mois totalement assortie du sursis probatoire pendant 2 ans.

Sur l’action civile, le couple de prévenus a été condamné à payer solidairement 35 000 euros au titre des pertes de gains professionnels, 8 047,5 euros et 16 280 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire et permanent, 10 000 euros au titre des souffrances endurées. La juridiction a également reçu la constitution de partie civile du CCEM et il lui a été alloué la somme de 1 euro symbolique, conformément à sa demande.

Remarque : Il aura fallu attendre 13 ans pour obtenir cette condamnation, définitive à l’égard de l’un des prévenus qui s’est désisté de son appel. C’est un véritable combat judiciaire qui a été mené dans le cadre de l’instruction par les avocats bénévoles du CCEM, qui ont interjeté appel de la décision du juge d’instruction et formé un pourvoi en cassation contre l’arrêt de la chambre d’instruction afin que l’infraction de traite des êtres humains soit retenue.

Lors de l’audience, les prévenus ont eu recours pour se défendre à des arguments extrêmement classiques dans ce genre d’affaires à savoir l’acte de générosité et de solidarité dont ils ont fait preuve à l’égard de la victime qu’ils considéraient comme leur sœur.

Cour d’appel de Montpellier, 1ère chambre correctionnelle – 7 septembre 2020 – Décision Madame M.O. n°17/00479

En l’espèce, la victime d’origine camerounaise travaillait dans son pays d’origine pour une personne qui lui a proposé de venir à son service en France à deux reprises. Dans ces conditions, elle avait la charge des tâches domestiques et de la garde de 4 enfants dont un nouveau-né. Elle n’a pas été rémunérée. Elle a travaillé 12 heures par jour, 7 jours sur 7, sans repos ni congés. Son passeport lui a été confisqué. Elle a été victime de violences verbales et physiques. Elle dormait sur un matelas en sol dans la chambre des enfants, avait un accès limité à l’hygiène.

Sur l’action publique, Madame X. a été condamnée au visa de l’infraction de traite des êtres humains et en répression une peine de 12 mois d’emprisonnement totalement assortie du sursis a été prononcée. 

Sur l’action civile, la victime et le CCEM ont été reçus dans leur constitution de partie civile. Le tribunal a retenu l’existence d’un préjudice moral et financier subi par Madame O. et ainsi il lui a été alloué la somme de 14 000 euros. La prévenue a également été condamnée à verser la somme de 1 euro symbolique au CCEM, conformément à ses demandes.

Remarques : dans sa motivation, la Cour retient différents éléments à même d’emporter la conviction sur la qualification de traite et notamment – au-delà des conditions de travail et d’hébergement, qualifiées de « vexatoires » et des violences subies – les fausses promesses, l’organisation du transport, la confiscation du passeport, l’absence d’intimité et les circonstances de fuite de la victime.

Tribunal judiciaire de Paris, 31e chambre correctionnelle 2 – 10 juin 2022 – Décision VDP, n° de parquet 20206000927

En l’espèce, 51 victimes venues du monde entier ont été recrutées et exploitées au sein d’une association proposant des services de domiciliation et de formation. Au prétexte de la signature d’un contrat de « bénévolat », les prévenus leur imposaient 10 à 12h heures de travail par jour, 6 ou 7 jours par semaine, pour un salaire de quelques centaines d’euros par mois. Elles étaient également soumises à un système de discrimination et de harcèlement continu, douze femmes ont dénoncé des faits de harcèlement sexuel de la part du président de l’association. Pour renforcer son emprise sur les parties civiles, ce dernier avait recours à des manœuvres trompeuses, utilisant les symboles de la République et de la ville de Paris pour faire croire que devenir bénévole de cette association était une protection contre le risque de reconduite à la frontière et une assurance pour obtenir un titre de séjour.

Sur l’action publique, le tribunal a reconnu coupable l’association et son président des infractions de traite des êtres humains aggravée, de travail dissimulé et d’emploi d’étrangers sans autorisation de travail. En conséquence, le tribunal a prononcé la dissolution de l’association et condamné son président à un emprisonnement délictuel de deux ans, un an ferme à domicile sous surveillance électronique et un an assorti du sursis probatoire pendant trois ans avec obligation d’indemniser les parties civiles. L’adjointe principale du président a également été condamnée à huit mois d’emprisonnement avec sursis, pour complicité de traite des êtres humains.

Sur l’action civile, le tribunal a condamné solidairement les prévenus à verser la somme de 2 000 ou 3 000 euros à chacune des parties civiles en réparation du préjudice moral. La juridiction a également reçu la constitution de partie civile du CCEM et il lui a été alloué la somme de 1 euro symbolique, conformément à sa demande.

Remarques : Dans sa décision, le Tribunal met en exergue le processus de recrutement mis en place par le prévenu et constaté par l’inspection du travail. Les « bénévoles » étaient recrutés en premier lieu via le processus de domiciliation qui était payant. Des « formations » et une activité dite d’assistance juridique étaient également proposées, toujours à titre onéreux. Les bénévoles déjà présents devaient alors inciter les bénéficiaires à s’engager eux-mêmes comme bénévoles afin de s’acquitter du coût de ces services. Aussi, pour constater l’infraction de traite des êtres humains, le Tribunal retient que les moyens utilisés sont la promesse d’une rémunération ou d’avantages, et surtout, l’emploi de manœuvres dolosives. En effet, l’utilisation des symboles de la République et de la ville de Paris laisser croire aux bénévoles n’ayant pas de titre de séjour, qu’ils travaillaient pour l’administration française et seraient protégés en cas de contrôle.

Cour d’appel de Reims, chambre des appels correctionnels – 29 juin 2022 – décision Monsieur A. A. et 26 autres parties civiles, n° de parquet 18261000003

En l’espèce, près de 200 ressortissants afghans, sri-lankais, ivoiriens, mauritiens et sénégalais, ont été exploités dans le cadre de vendanges en 2018. Ils ont été recrutés et transportés depuis différentes régions françaises ou depuis l’Espagne. Malgré des promesses de rémunération à l’heure, celle-ci a été calculée « à la tâche », 0.17 euros par kilogramme de raisins récoltés. Certains n’ont finalement reçu aucune rémunération, alors qu’ils  travaillaient plus de 12 heures par jour. En outre, l’intervention des gendarmes et de l’inspection du travail a permis de constater des conditions d’hébergement contraires à la dignité. Ainsi, au moins 77 personnes étaient hébergées dans un ancien hôtel, avec une cuisine sans aération, ni ventilation, dans laquelle régnait une odeur nauséabonde. Des matelas étaient disposés à même le sol, dans un espace très réduit (4m² par personne), et « l’hôtel » disposait de seulement 10 douches et toilettes, dont certaines inutilisables et extrêmement sales.

Sur l’action publique, la Cour d’appel a confirmé le jugement du Tribunal correctionnel de Reims du 11 septembre 2020 sur la déclaration de culpabilité de la société R. et de ses deux gérants pour l’infraction de traite des êtres humains. Sur la peine, la Cour d’appel a diminué de moitié l’amende, 50 000 euros pour chacun des deux gérants, mais a confirmé la confiscation d’une maison et les condamnations à 3 ans d’emprisonnement, dont 2 ans ferme. La confirmation des peines d’emprisonnement a été motivée par l’extrême gravité des faits, réitérés sur plusieurs années et commis à l’égard de plusieurs personnes, dont les vulnérabilités sont soulignées par les services enquêteurs (étrangers en situation irrégulière, emplois saisonniers, barrière de la langue, absence de moyen de locomotion personnel, sans rémunération et dont l’hébergement dépend de l’employeur). La Cour a relevé que ces faits ont porté atteinte à la dignité humaine, ainsi qu’à l’égalité entre prestataires économiques, et ont généré un profit très important.

Le Tribunal correctionnel était également entré en voie de condamnation à l’encontre de la société V.-C. et l’un de ses co-gérants pour soumission de plusieurs personnes vulnérables ou dépendantes à des conditions d’hébergement contraires à la dignité. Cette société sous-traitait l’activité de vendange auprès de la société R., afin d’honorer des contrats conclus avec des sociétés commercialisant du champagne. En appel, le co-gérant a vu sa peine d’emprisonnement de 18 mois totalement assortie du sursis probatoire. Le Tribunal correctionnel avait initialement décidé d’une peine d’emprisonnement ferme, estimant qu’il ne pouvait ignorer les conditions dans lesquels les travailleurs étaient hébergés.

Sur l’action civile, les constitutions de partie civile des victimes, ainsi que celles du CCEM, du syndicat CGT des salariés du champagne et de la Mutualité Sociale Agricole (MSA) ont été reçues. La Cour d’appel a condamné solidairement la société R. et ses gérants à les indemniser au titre d’un préjudice moral. Ainsi, chaque victime s’est vue accordée une somme, entre 500 et 3 000 euros, tandis qu’un euro symbolique a été accordé au CCEM. Cependant, la Cour d’appel a rejeté certains arguments des parties civiles, confirmant le jugement de première instance en ce qu’il avait conclu à l’absence de faute de l’employé de la société commercialisant le champagne. La Cour a justifié cette décision en relevant notamment le défaut de poursuite pénale pour manquement à son devoir de vigilance et l’absence d’accord donné pour la soustraitance avec la société R.

Remarques, pour qualifier les faits de traite des êtres humains en l’espèce, ce sont particulièrement les conditions d’hébergement contraires à la dignité qui ont retenu l’attention des magistrats. Aussi, il faut relever la volonté de la Cour d’appel de confirmer une peine d’emprisonnement ferme, décision rare à l’égard des primo délinquants, ce qui était le cas pour l’une des gérantes de la société R. Enfin, la mobilisation de l’article 131-21 du code pénal a permis la confiscation de biens, dont une maison ayant servi à la commission des infractions et qui en était elle-même le produit direct ou indirect. 

Tribunal judiciaire de Nanterre, 17è chambre correctionnelle - 12 décembre 2022 – Décision A.A., n° de parquet 22094000017

En l’espèce, la victime, ressortissante togolaise, a été recrutée en Côte d’Ivoire alors qu’elle travaillait pour la sœur du prévenu. Cette dernière lui aurait alors proposé de travailler pour son frère et sa femme en France en tant que garde d’enfant et aide ménagère en échange d’un salaire de 100 euros par mois et des cours d’alphabétisation. Dès son arrivée sur le territoire français le 15 octobre 2005 et ce jusqu’à sa fuite le 21 septembre 2008, la victime, en situation irrégulière, a effectué au domicile du couple des tâches domestiques et de garde d’enfants de 5h30 à 23h30 sans être déclarée. Elle dormait sur un matelas posé au sol dans le salon et devait attendre que toute la famille aille se coucher pour pouvoir se reposer. Elle était régulièrement insultée, ses sorties étaient contrôlées, et son passeport confisqué. Pour toute rémunération, la victime a perçu 2500 euros pour 3 ans, répartis de manière très irrégulière, le couple alléguant des problèmes financiers.

Sur l’action publique, le tribunal a reconnu coupable le couple de traite des êtres humains ainsi que des autres infractions connexes d’aide au séjour irrégulier, rétribution insuffisante d’une personne vulnérable, soumission à des conditions de travail indignes et emploi d’un étranger sans titre. En conséquence, il a prononcé à l’encontre des deux prévenus une peine d’emprisonnement délictuel de 18 mois totalement assortie du sursis probatoire pendant 2 ans.

Sur l’action civile, le couple de prévenus a été condamné à payer solidairement 35 000 euros au titre des pertes de gains professionnels, 8 047,5 euros et 16 280 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire et permanent, 10 000 euros au titre des souffrances endurées. La juridiction a également reçu la constitution de partie civile du CCEM et il lui a été alloué la somme de 1 euro symbolique, conformément à sa demande.

Remarque : Il aura fallu attendre 13 ans pour obtenir cette condamnation, définitive à l’égard de l’un des prévenus qui s’est désisté de son appel. C’est un véritable combat judiciaire qui a été mené dans le cadre de l’instruction par les avocats bénévoles du CCEM, qui ont interjeté appel de la décision du juge d’instruction et formé un pourvoi en cassation contre l’arrêt de la chambre d’instruction afin que l’infraction de traite des êtres humains soit retenue.

Lors de l’audience, les prévenus ont eu recours pour se défendre à des arguments extrêmement classiques dans ce genre d’affaires à savoir l’acte de générosité et de solidarité dont ils ont fait preuve à l’égard de la victime qu’ils considéraient comme leur sœur.

Tribunal correctionnel de Brest, chambre correctionnelle - 15 décembre 2022 - Décision MORLAIX, n° de parquet 20237000026

En l’espèce, seize ressortissants étrangers en situation irrégulière sur le territoire français ont été recrutés et exploités par une société de ramassage de poulet et son gérant. Les travailleurs étaient soumis à une charge de travail importante, des horaires excessifs de nuit, une absence totale de couverture sociale et de protections adéquates. De surcroît, les victimes faisaient l’objet de menaces, d’insultes et de violences physiques récurrentes.

Par ailleurs, l’hébergement fourni par l’employeur, dont les loyers étaient directement déduits des salaires, s’est révélé insalubre et dangereux selon un rapport de l’Agence Régionale de Santé, plaçant ainsi les victimes dans des conditions d’hébergement portant gravement atteinte à leur dignité.

Sur l’action publique, s’agissant de la société, elle a été condamnée de façon définitive pour traite des êtres humains, emploi d’étrangers non munis d’une autorisation de travail et faux et usage de faux. Elle s’est vu infliger une amende de 30 000 euros au titre des délits de traite des êtres humains et de faux et usage de faux et de 15 amendes de 1000 euros chacune pour l’emploi de salariés sans papiers.

S’agissant des personnes physiques, qui ont interjeté appel de leur condamnation, le gérant a été déclaré coupable des mêmes chefs d’accusation que la société. Son épouse a été reconnue complice du délit de traite des êtres humains. Enfin, le propriétaire des logements insalubres a été condamné pour hébergement indigne.

Sur l’action civile, le tribunal a condamné solidairement les prévenus à verser des sommes comprises entre 7300 et 30 000 euros aux parties civiles en réparation du préjudice moral. La juridiction a également reçu la constitution de partie civile du CCEM et il lui a été alloué la somme de 1 euro symbolique, conformément à sa demande.

Remarques, le tribunal a préalablement constaté l’état de vulnérabilité préexistant des victimes, induit par leur situation irrégulière sur le territoire national. Il a ensuite considéré que les manœuvres des prévenus visant à attirer ces travailleurs dans une zone géographiquement isolée en leur promettant une régularisation et un hébergement avait eu pour effet de placer les victimes dans un état de vulnérabilité et de dépendance supplémentaires à l’égard de leur employeur, rendant difficile la recherche d’autres opportunités d’emploi ou d’autres possibilités d’hébergement.

La juridiction a ainsi caractérisé l’existence d’un système d’exploitation méthodiquement orchestré à l’encontre des victimes, comprenant le recours à des promesses fallacieuses de régularisation administrative mais également la conclusion de contrats de travail de façade dont les stipulations n’étaient pas respectées, l’imposition de durées de travail excessives, l’octroi d’une rémunération insuffisante et l’indignité de l’hébergement. Ce système reposait par ailleurs sur une gestion autoritaire et dégradante de l’employeur, notamment via l’établissement de plannings de travail conditionnés au degré d’obéissance et de soumission des salariés.

Cour d'appel de Rouen, Chambre des appels correctionnels – 16 janvier 2023 – Décision Evreux, n° parquet général 18255000026 (sur appel du jugement du tribunal judiciaire d’Evreux, chambre correctionnelle, du 13 juillet 2021)

En l’espèce, cinq ressortissants marocains ont été embauchés par un même employeur, propriétaire de plusieurs restaurants et boulangeries en Normandie. Ce dernier leur avait promis un salaire ainsi qu’une aide à la régularisation de leur situation administrative. Les victimes, exploitées pendant des durées variables allant de quelques mois à plusieurs années, étaient soumises à une charge de travail considérable, ne bénéficiaient que de très peu de jours de repos, percevaient une rémunération très inférieure aux standards autorisés, le tout dans un environnement marqué par la peur et des violences. Elles étaient par ailleurs logées sur place dans des conditions indignes.

Sur l’action publique, la Cour a confirmé le jugement du 13 juillet 2021 pour traite des êtres humains, soumission d’une personne à des conditions de travail indignes, soumission d’une personne à des conditions d’hébergement indignes, rétribution inexistante ou insuffisante d’une personne vulnérable ou dépendante. En conséquence, elle a condamné le prévenu à un emprisonnement délictuel d’un an de prison assorti d’un mandat d’arrêt. 

Sur l’action civile, la Cour a condamné le prévenu à verser entre 6000 et 9000 euros de dommages et intérêts aux victimes.

Remarques :: Un premier procès à l’initiative du Parquet, ne portant que sur les infractions liées au travail dissimulé et aux règles d’hygiène, avait mené à une première condamnation du chef d’entreprise en novembre 2018.

Ces infractions ne rendant pas compte de la gravité des faits et de l’ampleur du système d’exploitation mis en place par le prévenu, les victimes, par l’intermédiaire de leur avocat, membre du réseau du CCEM, ont cité directement l’employeur à comparaître devant le tribunal judicaire afin qu’il soit jugé pour traite des êtres humains.

Dans le cadre de cette procédure, le Défenseur des droits, en tant qu’institution chargée de veiller au respect des droits et des libertés et de lutter contre les discriminations, a présenté des observations, considérant que « la traite des êtres humains constitue l’une des formes les plus violentes de la discrimination lorsqu’elle consiste à recruter une personne à raison de son origine, de sa nationalité, ou de sa vulnérabilité économique, dans le but de la soumettre à des conditions de travail et d’hébergement contraires à sa dignité ».

II - Droit social du travail

Cour de cassation, chambre sociale, 3 avril 2019, n°16-204901

En l’espèce, la victime, mineure au moment des faits, d’origine marocaine, arrivée en France sous couvert d’une kafala, a travaillé pour un couple pendant 7 ans. Elle avait la charge du ménage, des tâches domestiques et de la garde du plus jeune enfant. Elle n’a pas perçue de rémunération. Elle subissait des violences physiques et verbales. Elle avait des restrictions dans l’accès à l’hygiène et ne pouvait avoir accès au soin. Après avoir réussi à entrer en contact avec une association, Madame a été orientée au CCEM qui l’accompagne depuis 2001.

Sur la procédure, après une condamnation du couple au visa de l’infraction d’absence de rémunération d’une personne vulnérable ou dépendante (article 225-13 du code pénal) par la Cour d’appel de Versailles, Monsieur X. a été condamné à 20 000 euros d’amende et Madame X. a une peine d’emprisonnement d’une durée d’1 an totalement assorti du sursis. La partie civile a obtenu l’indemnisation de son préjudice moral évalué à la hauteur de 10 000 euros. En parallèle une procédure prud’homale a été engagée afin d’obtenir une indemnisation du préjudice financier dont l’arrêt de la Cour de cassation vient poser le principe.

Remarques : cette décision pose le principe de l’indemnisation intégrale du préjudice subie par les victimes de travail forcé et de servitude que le préjudice soit moral ou financier. Suite à cet arrêt, la Cour d’appel de Paris a évalué le préjudice financier subi par la victime à un montant de 280 000 euros.

III - droit civil de l'indemnisation

Commission d'Indemnisation des Victimes d'Infractions (CIVI) - 10 janvier 2022 - Décision Mme R L.N. - n° de dossier RG 21/00147

En l’espèce, suite à l’arrêt de la Cour d’appel de Versailles du 14 février 2019 l’ayant reconnue victime de traite des êtres humains (voir ci-dessus), Mme R. L. N. a déposé une requête près de la CIVI le 14 juin 2021. Dans un premier temps, la commission rejette la demande d’indemnisation du travail,  au sens strict, considérant qu’il ne s’agit pas d’un dommage résultant d’une atteinte à la personne au sens de l’article 706-3 du code de procédure pénale. 

Cependant, dans un second temps, la CIVI reconnaît l’indemnisation d’une part de la perte de chance de se former et d’exercer une activité professionnelle sur une période d’un an après son arrivée et jusqu’à la fin de la période d’exploitation et l’évalue à 40 % du SMIC. D’autre part, la CIVI reconnaît toute la période d’exploitation comme un déficit fonctionnel temporaire total et donc soumis à indemnisation à ce titre (en l’occurrence 25 € par jour d’exploitation). Enfin, elle retient le préjudice moral retenu par la Cour d’appel de Versailles.
 
Remarques : Il s’agit de la première fois, dans un dossier du CCEM que la CIVI considère la période d’exploitation comme un déficit fonctionnel temporaire total. En l’espèce, la commission prend en considération l’absence totale de temps repos et de rémunération, l’hébergement dans des conditions indignes (absence d’intimité, chauffage, etc.) et “l’impossibilité” de vivre ailleurs” de Madame R. L. N. La CIVI considère que la situation vécue a “privé en totalité la requérante de qualité de vie et des joies usuelles de la vie courante”.

IV - droit administratif