Esclavage domestique : un couple condamné pour travail dissimulé et non rémunéré (07/02/2018)

Hier après-midi, au tribunal de Grande instance de Bourg-en-Bresse, un couple était jugé dans une affaire de soupçon d’esclavage domestique.



Il leur était reproché, entre le 1er février au 14 juin 2016, d’avoir omis intentionnellement de remettre des bulletins de paie de leur domestique Marie-Thérèse Manga, d’avoir omis de déclarer son embauche et de l’avoir fait travailler en sachant qu’elle n’avait pas de titre de séjour.

« On la traitait comme une esclave »

L’histoire de Marie-Thérèse Manga et du couple d’employeurs sénégalais M. Ngom et Mme Thioye remonte à 2008, alors qu’ils vivent au Sénégal. La jeune femme travaille déjà pour eux et accepte de les suivre en Suisse en 2011, où la femme occupe un poste de fonctionnaire internationale, traductrice à l’ONU.

Le couple demande pour son employée un titre de séjour provisoire suisse. Mais fin janvier 2016, les époux déménagent en France, à Ferney, et s’aperçoivent que Marie-Thérèse n’est plus en règle. Ils continuent toutefois de la faire travailler.

Employeur, le mot est exagéré, puisque la “domestique” ne sera jamais payée, en Suisse comme en France. « On la traitait comme une esclave », s’insurge Gwenola Le Bartz, l’avocate de Marie-Thérèse, « je suis choquée de ce que j’ai pu lire dans les procès-verbaux des prévenus, leur absence d’humanité, d’empathie. Ils n’ont d’ailleurs toujours pas compris pourquoi ils étaient convoqués devant votre juridiction. Il y a chez eux une absence totale de conscience de la gravité des faits et je trouve dommage qu’ils ne soient pas là pour s’exprimer. »

Marie-Thérèse Manga, des sanglots dans la voix, raconte à la demande de la juge son quotidien. Les tâches ménagères, la cuisine et les enfants en bas âges, jour et nuit, du lundi au dimanche, « de 5 h 30 du matin jusqu’à 23 h » selon son témoignage. Et jamais elle ne verra la couleur d’un salaire. Après cinq années de bons et très loyaux services, son compte est vide.

Après un contrôle des autorités suisses, au bout d’une année à Genève, le couple qui disait verser à l’époque 500 francs suisses par mois à son employée, s’engage à lui ouvrir un compte et à la rémunérer 2 580 francs par mois. « Je n’ai jamais vu cette carte bleue. Quand j’avais besoin d’argent pour une course, je leur demandais », rapporte Marie-Thérèse. « Ma patronne me disait que chaque mois elle versait l’argent sur mon compte et qu’il fallait que je le garde pour m’acheter plus tard une maison au Sénégal. Moi je la croyais… »

D’ailleurs, l’enquête de gendarmerie sur les mouvements du fameux compte en banque démontrera que dès lors qu’un salaire était versé, un retrait du même montant s’opérait dans la foulée.

La défense : « Une situation entre étrangers, à l’étranger »

Le couple reconnaît le travail dissimulé, mais pas l’exploitation. Maître Damien Viguier, l’avocat des prévenus, avance des difficultés financières à payer leur domestique à leur arrivée en France. Mais l’argumentation ne convainc pas.

La procureur, dans son réquisitoire, a d’ailleurs rappelé que la fonctionnaire internationale et son mari gagnent à eux deux 13 000 €.

« Ma défense sera simple », annonce Viguier, « vous n’êtes ici pas compétents pour juger cette affaire qui est une situation entre étrangers, à l’étranger ! » Il faut savoir que côté suisse, les parties ont transigé à un protocole d’accord (95 000 €). Le couple échappe ainsi à la condamnation. Mais pour les manquements à la loi constatés côté français, le tribunal de Bourg a déclaré le couple coupable, avec trois mois d’emprisonnement assorti du sursis et 7 500 euros d’amende. Il ordonne la restitution des scellées à Marie-Thérèse Manga, soit des 1 400 € retrouvés au domicile lors de la perquisition. Et pour le préjudice moral, 5 800 €.

Par Catherine MELLIER    /

Lire la suite sur le site de Dauphine.com