Le gérant d’une entreprise de l’Essonne a été condamné par le tribunal correctionnel d’Evry pour « traite d’être humains » après avoir exploité deux déficients mentaux pendant des années.
“Du hangar aux odeurs nauséabondes d’appâts pour la pêche, J.-P. et Jojo sont peu sortis pendant plusieurs années. Jusqu’en septembre 2013, c’est là qu’ils travaillaient, du matin au soir, à transférer des asticots d’une boîte à une autre. Et du soir au matin, c’est aussi là qu’ils vivaient, dans deux préfabriqués nichés en haut d’un escalier métallique en colimaçon. A 2,50 m du sol, sur une simple dalle de béton qui donne sur le vide. J.-P., 62 ans, et Jojo, 72 ans, tous deux déficients mentaux, avaient chacun le leur, avec lit, télé, douche et toilettes.
L’un des deux hommes avait été recruté il y a quarante ans dans un centre pour mineurs. L’autre avait été embauché il y a une vingtaine d’années à sa sortie d’un hôpital psychiatrique. Pendant toutes ces années passées comme employés de l’entreprise de conditionnement d’appâts de la famille L., située à Linas (Essonne), leurs conditions d’hébergement ont quelquefois changé, pas leurs conditions de travail. Trois semaines de vacances en fin d’année et environ 5 000 euros de salaire par an pour parfois plus de soixante heures de travail hebdomadaires.
Ces conditions ont valu au fils de la famille, L., 41 ans, gérant de la société, d’être condamné, mercredi 9 avril, à cinq ans de prison dont trois avec sursis pour traite d’êtres humains. Ce jour-là, face au tribunal correctionnel d’Evry, le prévenu ne semble pas comprendre la qualification des faits qui lui sont reprochés. La traite d’êtres humains, et en creux, la notion d’esclavage, renvoient sans doute pour lui à une réalité bien plus lointaine et bien plus exotique que le quotidien de ses deux employés.
« Je pense que ce tableau est très noir par rapport à la réalité des choses M. le président », nuance-t-il timidement, endimanché dans une veste de costume sombre. Quelques minutes auparavant, retenant ses larmes, il expliquait que J.-P. et Jojo faisaient presque partie de sa famille et qu’il n’avait jamais voulu leur nuire. L’emploi des deux victimes relèverait en fait d’un acte de charité accordé par sa famille aux deux hommes, aujourd’hui vieux et édentés. « Ils n’ont jamais été frappés, ils sortaient quand ils voulaient, mangeaient quand ils voulaient », argumente le prévenu.
« J’ai été trop laxiste sur plein de choses, reconnaît-il. Mais avec J.-P., on a toujours eu de bons rapports. (…) Même s’il lui est arrivé de fuguer. » « Qu’est-ce que c’est que ce terme pour un adulte ?, s’exclame le président.– Oui, c’est peut-être pas le bon terme. – Ou peut-être que c’est révélateur de votre état d’esprit. Il essaie de s’évader ce monsieur ! », ironise le magistrat …( Elise Godeau )