Une jeune Kényane raconte l’esclavage moderne (01/12/2012)

Elle était domestique en Arabie saoudite, chez des princes. Au bout de 3 ans et 10 mois de mauvais traitements, elle a fui lors d’une escale à Paris.

J’ai 29 ans et Mary n’est pas mon vrai prénom, mais j’ai peur qu’on me reconnaisse. La plupart de mes proches ne savent rien de ce qui m’est arrivé, je ne voudrais pas leur faire de peine. Autrefois j’avais des rêves. Je voulais apprendre le droit ou devenir infirmière, je voulais être une femme indépendante. J’ai grandi dans la banlieue de Mombasa, la deuxième ville du Kenya, avec mes parents, mon grand frère et ma petite soeur. Mes parents – mon père est mécanicien et ma mère ne travaille pas – ne gagnent pas assez pour payer nos études.

Lorsque je décroche mon bac à 18 ans, je comprends que mon père a un plan pour moi. Loin de l’université : il m’a promise à un de ses amis, un “vieux” qui veut faire de moi sa quatrième épouse, en échange d’argent. Je ne veux pas de cette vie, je la repousse de toutes mes forces. Mon père ne comprend pas. C’est un homme sévère, qu’on ne conteste pas, c’est comme ça depuis que je suis petite : s’il dit quelque chose, on le fait.

“Lorsque mon père est mécontent, il nous frappe avec un bâton”

Ma mère n’est pas toujours d’accord mais elle ne peut rien y changer, il reproduit sur nous ce qu’il a connu enfant : quand il est mécontent, il nous frappe avec un bâton ou avec un tuyau en caoutchouc. Mon grand frère, qui s’est rebellé, a quitté la maison pour aller à la capitale, Nairobi. Je vais partir moi aussi, moi qui n’ai jamais eu le droit de sortir seule dans la rue, je veux choisir ma vie.

Une de mes amies a travaillé en Arabie Saoudite. Elle peut m’aider à trouver un travail là-bas, le temps de gagner de quoi payer mes études. Sans rien dire, je prépare mon départ. Une famille cherche un professeur d’anglais pour deux ans. Ce sont de lointains parents du roi Fahd. On les appelle prince et princesse. Ils sont prêts à payer mon billet d’avion et à me fournir un visa.

Je mets quelques affaires dans un sac, je prends mon passeport, que ma mère garde avec les papiers de la famille dans un tiroir de sa chambre, et je pars sans laisser d’explication. Le car jusqu’à Nairobi puis l’aéroport. C’est la première fois que je prends l’avion. Je ne cesse de pleurer. Dans le miroir des toilettes, mes yeux sont gonflés et rouges.

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